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où le foyer aurait nécessairement 2 pieds de diamètre, il me faudrait un miroir de 30 pieds de diamètre ; ce qui me paraissait encore une chose impossible, ou du moins impraticable.

À des raisons si positives, et que d’autres auraient regardées comme des démonstrations de l’impossibilité du miroir, je n’avais rien à opposer qu’un soupçon, mais un soupçon ancien, et sur lequel plus j’avais réfléchi, plus je m’étais persuadé qu’il n’était pas sans fondement : c’est que les effets de la chaleur pouvaient bien n’être pas proportionnels à la quantité de lumière, ou, ce qui revient au même, qu’à égale intensité de lumière les grands foyers devaient brûler plus vivement que les petits.

En estimant la chaleur mathématiquement, il n’est pas douteux que la force des foyers de même longueur ne soit proportionnelle à la surface des miroirs. Un miroir dont la surface est double de celle d’un autre doit avoir un foyer de la même grandeur, si la courbure est la même ; et ce foyer de même grandeur doit contenir le double de la quantité de lumière que contient le premier foyer ; et dans la supposition que les effets sont toujours proportionnels à leurs causes, on avait toujours cru que la chaleur de ce second foyer devait être double de celle du premier.

De même, et par la même estimation mathématique, on a toujours cru qu’à égale intensité de lumière un petit foyer devait brûler autant qu’un grand, et que l’effet de la chaleur devait être proportionnel à cette intensité de lumière ; en sorte, disait Descartes, qu’on peut faire des verres ou des miroirs extrêmement petits qui brûleront avec autant de violence que les plus grands. Je pensai d’abord, comme je l’ai dit ci-dessus, que cette conclusion, tirée de la théorie mathématique, pourrait bien se trouver fausse dans la pratique, parce que la chaleur étant une qualité physique de l’action et de la propagation de laquelle nous ne connaissons pas bien les lois, il me semblait qu’il y avait quelque espèce de témérité à en estimer ainsi les effets par un raisonnement de simple spéculation.

J’eus donc recours encore une fois à l’expérience : je pris des miroirs de métal de différents foyers et de différents degrés de poliment ; et en comparant l’action des différents foyers sur les mêmes matières fusibles ou combustibles, je trouvai qu’à égale intensité de lumière les grands foyers font constamment beaucoup plus d’effet que les petits, et produisent souvent l’inflammation ou la fusion, tandis que les petits ne produisent qu’une chaleur médiocre ; je trouvai la même chose avec les miroirs par réfraction. Pour le faire mieux sentir, prenons, par exemple, un grand miroir ardent par réfraction, tel que celui du sieur Segard, qui a 32 pouces de diamètre et un foyer de 8 lignes de largeur à 6 pieds de distance, auquel foyer le cuivre se fond en moins d’une minute, et faisons dans les mêmes proportions un petit verre ardent de 32 lignes de diamètre, dont le foyer sera de 8/12 ou 2/3 de ligne, et la distance à 6 pouces : puisque le grand miroir fond le cuivre en une minute dans l’étendue entière de son foyer, qui est de 8 lignes, le petit verre devrait, selon la théorie, fondre dans le même temps la même matière dans l’étendue de son foyer, qui est de 2/3 de ligne. Ayant fait l’expérience, j’ai trouvé, comme je m’y attendais bien, que, loin de fondre le cuivre, ce petit verre ardent pouvait à peine donner un peu de chaleur à cette matière.

La raison de cette différence est aisée à donner, si l’on fait attention que la chaleur se communique de proche en proche et se disperse, pour ainsi dire, lors même qu’elle est appliquée continuellement sur le même point : par exemple, si l’on fait tomber le foyer d’un verre ardent sur le centre d’un écu, et que ce foyer n’ait que 1 ligne de diamètre, la chaleur qu’il produit sur le centre de l’écu se disperse et s’étend dans le volume entier de l’écu, et il devient chaud jusqu’à la circonférence ; dès lors toute la chaleur, quoique employée d’abord contre le centre de l’écu, ne s’y arrête pas et ne peut pas produire un aussi grand effet que si elle y demeurait tout entière. Mais si, au lieu d’un foyer