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ne s’agrandissent et ne s’affaiblissent pas par la dispersion de la lumière ou par la perte qu’elle fait en traversant l’air, comme l’ont cru quelques physiciens, et que cela n’arrive au contraire que par l’augmentation des disques, qui occupent toujours un espace de 32 minutes, à quelque éloignement qu’on les porte.

De même on sera convaincu, par la simple exposition de cette théorie, que les courbes, de quelque espèce qu’elles soient, ne peuvent être employées avec avantage pour brûler de loin, parce que le diamètre du foyer de toutes les courbes ne peut jamais être plus petit que la corde de l’arc qui mesure un angle de 32 minutes, et que par conséquent le miroir concave le plus parfait dont le diamètre serait égal à cette corde ne ferait jamais le double de l’effet de ce miroir plan de même surface[1] ; et si le diamètre de ce miroir courbe était plus petit que cette corde, il ne ferait guère plus d’effet qu’un miroir plan de même surface.

Lorsque j’eus bien compris ce que je viens d’exposer, je me persuadai bientôt, à n’en pouvoir douter, qu’Archimède n’avait pu brûler de loin qu’avec des miroirs plans ; car, indépendamment de l’impossibilité où l’on était alors et où l’on serait encore aujourd’hui d’exécuter des miroirs concaves d’un aussi long foyer, je sentis bien que les réflexions que je viens de faire ne pouvaient pas avoir échappé à ce grand mathématicien. D’ailleurs je pensai que, selon toutes les apparences, les anciens ne savaient pas faire de grandes masses de verre, qu’ils ignoraient l’art de le couler pour en faire de grandes glaces, qu’ils n’avaient tout au plus que celui de le souffler et d’en faire des bouteilles et des vases ; et je me persuadai aisément que c’était avec des miroirs plans de métal poli et par la réflexion des rayons du soleil qu’Archimède avait brûlé au loin ; mais comme j’avais reconnu que les miroirs de glace réfléchissent plus puissamment la lumière que les miroirs du métal le plus poli, je pensai à faire construire une machine pour faire coïncider au même point les images réfléchies par un grand nombre de ces glaces planes, bien convaincu que ce moyen était le seul par lequel il fût possible de réussir.

Cependant j’avais encore des doutes, et qui me paraissaient même très bien fondés, car voici comment je raisonnais. Supposons que la distance à laquelle je veux brûler soit de 240 pieds, je vois clairement que le foyer de mon miroir ne peut avoir moins de 2 pieds de diamètre à cette distance ; dès lors quelle sera l’étendue que je serai obligé de donner à mon assemblage de miroirs plans pour produire du feu dans un aussi grand foyer ? Elle pouvait être si grande que la chose eût été impraticable dans l’exécution ; car en comparant le diamètre du foyer au diamètre du miroir, dans les meilleurs miroirs par réflexion que nous ayons, par exemple avec le miroir de l’Académie, j’avais observé que le diamètre de ce miroir, qui est de 3 pieds, était cent huit fois plus grand que le diamètre de son foyer, qui n’a qu’environ 4 lignes, et j’en concluais que, pour brûler aussi vivement à 240 pieds, il eût été nécessaire que mon assemblage de miroirs eût eu 216 pieds de diamètre, puisque le foyer aurait 2 pieds, or, un miroir de 216 pieds de diamètre était assurément une chose impossible.

À la vérité, ce miroir de 3 pieds de diamètre brûle assez vivement pour fondre l’or, et je voulus voir combien j’avais à gagner en réduisant son action à n’enflammer que du bois : pour cela, j’appliquai sur le miroir des zones circulaires de papier pour en diminuer le diamètre, et je trouvai qu’il n’avait plus assez de force pour enflammer du bois sec lorsque son diamètre fut réduit à 4 pouces 8 ou 9 lignes : prenant donc 5 pouces ou 60 lignes pour l’étendue du diamètre nécessaire pour brûler avec un foyer de 4 lignes, je ne pouvais me dispenser de conclure que, pour brûler également à 240 pieds,

  1. Si l’on se donne la peine de le supputer, on trouvera que le miroir courbe le plus parfait n’a d’avantage sur un miroir plan que dans la raison de 17 à 10, du moins à très peu près.