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cette différence vient de ce que les rayons de lumière qui partent de la bougie comme d’un centre tombent plus obliquement sur le miroir que les rayons du soleil, qui viennent presque parallèlement. Cette expérience confirma donc ce que j’avais trouvé d’abord, et je tins pour sûr que la lumière du soleil ne perd qu’environ moitié par sa réflexion sur une glace de miroir.

Ces premières connaissances dont j’avais besoin étant acquises, je cherchai ensuite ce que deviennent en effet les images du soleil lorsqu’on les reçoit à de grandes distances. Pour bien entendre ce que je vais dire, il ne faut pas, comme on le fait ordinairement, considérer les rayons du soleil comme parallèles ; et il faut se souvenir que le corps du soleil occupe à nos yeux une étendue d’environ 32 minutes ; que par conséquent les rayons qui partent du bord supérieur du disque, venant à tomber sur un point d’une surface réfléchissante, les rayons qui partent du bord inférieur, venant à tomber aussi sur le même point de cette surface, ils forment entre eux un angle de 32 minutes dans l’incidence et ensuite dans la réflexion, et que par conséquent l’image doit augmenter de grandeur à mesure qu’elle s’éloigne. Il faut de plus faire attention à la figure de ces images : par exemple, une glace plane carrée de 1/2 pied, exposée aux rayons du soleil, formera une image carrée de 6 pouces lorsqu’on recevra cette image à une petite distance de la glace, comme de quelques pieds ; en s’éloignant peu à peu, on voit l’image augmenter, ensuite se déformer, enfin s’arrondir et demeurer ronde, toujours en s’agrandissant à mesure qu’elle s’éloigne du miroir. Cette image est composée d’autant de disques du soleil qu’il y a de points physiques dans la surface réfléchissante ; le point du milieu forme une image du disque ; les points voisins en forment de semblables et de même grandeur qui excèdent un peu le disque du milieu ; il en est de même de tous les autres points, et l’image est composée d’une infinité de disques, qui se surmontant régulièrement et anticipant circulairement les uns sur les autres, forment l’image réfléchie dont le point du milieu de la glace est le centre.

Si l’on reçoit l’image composée de tous ces disques à une petite distance, alors l’étendue qu’ils occupent n’étant qu’un peu plus grande que celle de la glace, cette image est de la même figure et à peu près de la même étendue que la glace : si la glace est carrée, l’image est carrée ; si la glace est triangulaire, l’image est triangulaire ; mais lorsqu’on reçoit l’image à une grande distance de la glace, où l’étendue qu’occupent les disques est beaucoup plus grande que celle de la glace, l’image ne conserve plus la figure carrée ou triangulaire de la glace, elle devient nécessairement circulaire ; et, pour trouver le point de distance où l’image perd sa figure carrée, il n’y a qu’à chercher à quelle distance la glace nous paraît sous un angle égal à celui que forme le corps du soleil à nos yeux, c’est-à-dire sous un angle de 32 minutes, cette distance sera celle où l’image perdra sa figure carrée et deviendra ronde ; car les disques ayant toujours pour diamètre une ligne égale à la corde de l’arc de cercle qui mesure un angle de 32 minutes, on trouvera par cette règle qu’une glace carrée de 6 pouces perd sa figure carrée à la distance d’environ 60 pieds, et qu’une glace de 1 pied en carré ne la perd qu’à 120 pieds environ, et ainsi des autres.

En réfléchissant un peu sur cette théorie, on ne sera plus étonné de voir qu’à de très grandes distances, une grande et une petite glace donnent à peu près une image de la même grandeur, et qui ne diffère que par l’intensité de la lumière ; on ne sera plus surpris qu’une glace ronde, ou carrée, ou longue, ou triangulaire, ou de telle autre figure que l’on voudra[1], donne toujours des images rondes, et on verra clairement que les images

  1. C’est par cette même raison que les petites images du soleil qui passent entre les feuilles des arbres élevés et touffus, qui tombent sur le sable d’une allée, sont toutes ovales ou rondes.