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on trouverait à la balance hydrostatique leur pesanteur spécifique différente, quoiqu’elle fût réellement la même.

Je crois que quiconque réfléchira sur les expériences précédentes et sur leurs résultats, ne pourra disconvenir que la chaleur très longtemps appliquée aux différents corps qu’elle pénètre ne dépose dans leur intérieur une très grande quantité de particules qui deviennent parties constituantes de leur masse, et qui s’y unissent et y adhèrent d’autant plus que les matières se trouvent avoir avec elles plus d’affinité et d’autres rapports de nature. Aussi me trouvant muni de ces expériences, je n’ai pas craint d’avancer, dans mon Traité des éléments, que les molécules de la chaleur se fixaient dans tous les corps, comme s’y fixent celles de la lumière et celles de l’air dès qu’il est accompagné de chaleur ou de feu.




SIXIÈME MÉMOIRE

EXPÉRIENCES SUR LA LUMIÈRE ET SUR LA CHALEUR QU’ELLE PEUT PRODUIRE.

ARTICLE PREMIER

INVENTION DE MIROIRS POUR BRÛLER À DE GRANDES DISTANCES.

L’histoire des miroirs ardents d’Archimède est fameuse : il les inventa pour la défense de sa patrie, et il lança, disent les anciens, le feu du soleil sur la flotte ennemie, qu’il réduisit en cendres lorsqu’elle approcha des remparts de Syracuse ; mais cette histoire, dont on n’a pas douté pendant quinze ou seize siècles, a d’abord été contredite, et ensuite traitée de fable pendant ces derniers temps. Descartes, né pour juger et même pour surpasser Archimède, a prononcé contre lui d’un ton de maître ; il a nié la possibilité de l’invention, et son opinion a prévalu sur les témoignages et sur la croyance de toute l’antiquité : les physiciens modernes, soit par respect pour leur philosophe, soit par complaisance pour leurs contemporains, ont été de même avis. On n’accorde guère aux anciens que ce qu’on ne peut leur ôter : déterminés peut-être par ces motifs, dont l’amour-propre ne se sert que trop souvent sans qu’on s’en aperçoive, n’avons-nous pas naturellement trop de penchant à refuser ce que nous devons à ceux qui nous ont précédés ? Et si notre siècle refuse plus qu’un autre, ne serait-ce pas, qu’étant plus éclairé, il croit avoir plus de droits à la gloire, plus de prétentions à la supériorité ?

Quoi qu’il en soit, cette invention était dans le cas de plusieurs autres découvertes de l’antiquité qui se sont évanouies, parce qu’on a préféré la facilité de les nier à la difficulté de les retrouver ; et les miroirs ardents d’Archimède étaient si décriés qu’il ne paraissait pas possible d’en rétablir la réputation ; car, pour appeler du jugement de Descartes, il fallait quelque chose de plus fort que des raisons, et il ne restait qu’un moyen sûr et décisif, à la vérité, mais difficile et hardi, c’était d’entreprendre de trouver les miroirs, c’est-à-dire d’en faire qui pussent produire les mêmes effets : j’en avais conçu depuis longtemps l’idée, et j’avouerai volontiers que le plus difficile de la chose était de la voir possible, puisque dans l’exécution j’ai réussi au delà de mes espérances[NdÉ 1].

  1. Les premières expériences de Buffon sur les miroirs ardents furent faites en 1747. L’une d’elles eut lieu à la Muette en présence de Louis XV auquel Buffon offrit le miroir