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SIXIÈME EXPÉRIENCE.

J’ai pris plusieurs morceaux de fonte de fer que j’ai fait casser dans les gueuses qui avaient servi plusieurs fois à soutenir les parois de la cheminée de mon fourneau, et qui par conséquent avaient été chauffées trois fois pendant quatre ou cinq mois de suite au degré de chaleur qui calcine la pierre, car ces gueuses avaient soutenu les pierres ou les briques de l’intérieur du fourneau, et n’étaient défendues de l’action immédiate du feu que par une pierre épaisse de 3 ou 4 pouces qui formait le dernier rang des étalages du fourneau ; ces dernières pierres, ainsi que toutes les autres dont les étalages étaient construits, s’étaient réduites en chaux à chaque fondage, et la calcination avait toujours pénétré de près de 8 pouces dans celles qui étaient exposées à la plus violente action du feu : ainsi les gueuses, qui n’étaient recouvertes que de 4 pouces par ces pierres, avaient certainement subi le même degré de feu que celui qui produit la parfaite calcination de la pierre, et l’avaient, comme je l’ai dit, subi trois fois pendant quatre ou cinq mois de suite. Les morceaux de cette fonte de fer que je fis casser ne se séparèrent du reste de la gueuse qu’à coups de masse très réitérés, au lieu que des gueuses de cette même fonte, mais qui n’avaient pas subi l’action du feu, étaient très cassantes et se séparaient en morceaux aux premiers coups de masse ; je reconnus dès lors que cette fonte, chauffée à un aussi grand feu et pendant si longtemps, avait acquis beaucoup plus de dureté et de ténacité qu’elle n’en avait auparavant, beaucoup plus même à proportion que n’en avaient acquis les pierres calcaires. Par ce premier indice je jugeai que je trouverais une différence encore plus grande dans la pesanteur spécifique de cette fonte si longtemps chauffée. Et en effet, le premier morceau que j’éprouvai à la balance hydrostatique pesait dans 4 livres 4 onces 3 gros, ou 547 gros ; le même morceau pesait dans l’eau 3 livres 11 onces 3 gros 1/2, c’est-à-dire 474 gros 1/2 : la différence est de 72 1/2 ; l’eau dont je me servais pour mes expériences pesait exactement 70 livres le pied cube et le volume d’eau déplacé par celui du morceau de cette fonte pesait 72 gros 1/2 : ainsi 72 gros 1/2, poids du volume de l’eau déplacée par le morceau de fonte, sont à 70 livres, poids du pied cube de l’eau, comme 547 gros, poids du morceau de fonte, sont à 528 livres 2 onces 1 gros 47 grains, poids du pied cube de cette fonte, et ce poids excède beaucoup celui de cette même fonte lorsqu’elle n’a pas été chauffée : c’est une fonte blanche qui communément est très cassante et le poids n’est que de 495 ou 500 livres tout au plus. Ainsi la pesanteur spécifique se trouve augmentée de 28 sur 500 par cette très longue application de la chaleur, ce qui fait environ un dix-huitième de la masse ; je me suis assuré de cette grande différence par cinq épreuves successives pour lesquelles j’ai eu attention de prendre toujours des morceaux pesant chacun 4 livres au moins, et comparés un à un avec des morceaux de même figure d’un volume à peu près égal : car quoiqu’il paraisse qu’ici la différence du volume, quelque grande qu’elle soit, ne devrait rien faire, et ne peut influer sur le résultat de l’opération de la balance hydrostatique, cependant ceux qui sont exercés à la manier se seront aperçus, comme moi, que les résultats sont toujours plus justes lorsque les volumes des matières qu’on compare ne sont pas bien plus grands l’un que l’autre. L’eau quelque fluide qu’elle nous paraisse, a néanmoins un certain petit degré de ténacité qui influe plus ou moins sur des volumes plus ou moins grands. D’ailleurs il y a très peu de matières qui soient parfaitement homogènes ou égales en pesanteur dans toutes les parties extérieures du volume qu’on soumet à l’épreuve : ainsi, pour obtenir un résultat sur lequel on puisse compter précisément, il faut toujours comparer des morceaux d’un volume approchant, et d’une figure qui ne soit pas bien différente ; car si d’une part on pesait un globe de fer de 2 livres, et d’autre part une feuille de tôle du même poids,