Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus grossiers, ont moins de ressort que l’air ; et le feu, qui est le plus subtil des éléments, est aussi celui qui a le plus de force expansive les plus petites molécules de la matière, les plus petits atomes que nous connaissions sont ceux de la lumière[NdÉ 1], et l’on sait qu’ils sont parfaitement élastiques, puisque l’angle sous lequel la lumière se réfléchit est toujours égal à celui sous lequel elle arrive : nous pouvons donc en inférer que toutes : les parties constitutives de la matière en général sont à ressort parfait, et que ce ressort produit tous les effets de la force expansive toutes les fois que les corps se heurtent ou se frottent en se rencontrant dans des directions opposées. L’expérience me paraît parfaitement d’accord avec ces idées : nous ne connaissons d’autres moyens de produire du feu que par le choc ou le frottement des corps[NdÉ 2] : car le feu que nous produisons par la réunion des rayons de la lumière ou par l’application du feu déjà produit à des matières combustibles, n’a-t-il pas néanmoins la même origine, à laquelle il faudra toujours remonter, puisqu’en supposant l’homme sans miroirs ardents et sans feu actuel, il n’aura d’autres moyens de produire le feu qu’en frottant ou choquant des corps solides les uns contre les autres[1] ? La force expansive pourrait donc bien n’être dans le réel que la réaction de la force attractive, réaction qui s’opère toutes les fois que les molécules primitives de la matière, toujours attirées les unes par les autres, arrivent à se toucher immédiatement : car dès lors il est nécessaire qu’elles soient repoussées avec autant de vitesse qu’elles en avaient acquis en direction contraire au moment du contact[2] ; et lorsque ces molécules sont abso-

  1. Le feu que produit quelquefois la fermentation des herbes entassées, celui qui se manifeste dans les effervescences, ne sont pas une exception qu’on puisse m’opposer, puisque cette production du feu par la fermentation et par l’effervescence dépend, comme toute autre, de l’action ou du choc des parties de la matière les unes contre les autres.
  2. Il est certain, me dira-t-on, que les molécules rejailliront après le contact, parce que leur vitesse à ce point, et qui leur est rendue par le ressort, est la somme des vitesses acquises dans tous les moments précédents par l’effet continuel de l’attraction, et par conséquent doit l’emporter sur l’effort instantané de l’attraction dans le seul moment du contact. Mais ne sera-t-elle pas continuellement retardée, et enfin détruite, lorsqu’il y aura équilibre entre la somme des efforts de l’attraction avant le contact et la somme des efforts de l’attraction après le contact ? Comme cette question pourrait faire naître des doutes ou laisser quelques nuages sur cet objet, qui par lui-même est difficile à saisir, je vais tâcher d’y satisfaire en m’expliquant encore plus clairement. Je suppose deux molécules, ou, pour rendre l’image plus sensible, deux grosses masses de matière, telles que la lune et la terre, toutes deux douées d’un ressort parfait dans toutes les parties de leur intérieur : qu’arriverait-il à ces deux masses isolées de toute autre matière, si tout leur mouvement progressif était tout à coup arrêté, et qu’il ne restât à chacune d’elles que leur force d’attraction réciproque ? Il est clair que, dans cette supposition, la lune et la terre se précipiteraient l’une vers l’autre, avec une vitesse qui augmenterait à chaque moment, dans la même raison que diminuerait le carré de leur distance. Les vitesses acquises seront donc immenses au point de contact, ou, si l’on veut, au moment de leur choc, et dès lors ces deux corps que nous avons supposés à ressort parfait et libres de tous autres empêchements, c’est-à-dire entièrement isolés, rejailliront chacun, et s’éloigneront l’un de l’autre dans la direction opposée, et avec la même vitesse qu’ils avaient acquise au point du contact : vitesse qui, quoique diminuée continuellement par leur attraction réciproque, ne laisserait pas de les porter d’abord au même lieu d’où ils sont partis, mais encore infiniment plus loin, parce que la retardation du mouvement est ici en ordre inverse de celui de l’accélération, et que la vitesse acquise au
  1. La lumière n’est pas un corps matériel, mais une simple manifestation du mouvement moléculaire de l’éther. [Note de Wikisource : Sur l’inexistence de l’éther, voyez la note précédente. La lumière est en réalité une onde électromagnétique, c’est-à-dire la propagation d’une perturbation des propriétés électriques et magnétiques du milieu qu’elle traverse. La propagation de l’onde s’accompagne d’un transport d’énergie sans transport de matière ; cependant on sait, depuis le début du vingtième siècle, que dans le cas de la lumière cette énergie est toujours multiple d’une quantité indivisible, appelé quantum de lumière ou photon, auquel on peut associer une quantité de mouvement propre : l’on a pu ainsi dire que le photon était un corpuscule de lumière. La physique quantique actuelle se fonde sur l’idée que toute particule de matière, comme la lumière, admet à la fois une description ondulatoire et une description corpusculaire.]
  2. Les combinaisons chimiques, les phénomènes électriques sont encore susceptibles de produire de la chaleur.