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masse ; car la chaleur, avant de se fixer dans la pierre, a commencé par en chasser toutes les parties humides qu’elle contenait : on sait qu’en distillant la pierre calcaire dans une cornue bien fermée, on tire de l’eau pure jusqu’à concurrence d’un seizième de son poids ; mais comme une chaleur de 95 degrés, quoique appliquée pendant cinq mois, pourrait néanmoins produire à cet égard de moindres effets que le feu violent qu’on applique au vaisseau dans lequel on distille la pierre, réduisons de moitié et même des trois quarts cette quantité d’eau enlevée à la pierre par la chaleur de 95 degrés, on ne pourra pas disconvenir que la quantité de chaleur qui s’est fixée dans cette pierre, ne soit d’abord d’un 60e indiqué par l’augmentation de la pesanteur spécifique, et encore d’un 64e pour le quart de la quantité d’eau qu’elle contenait, et que cette chaleur aura fait sortir ; en sorte qu’on peut assurer, sans craindre de se tromper, que la chaleur qui pénètre dans la pierre lui étant appliquée pendant longtemps, s’y fixe en assez grande quantité pour en augmenter la masse tout au moins d’un trentième, même dans la supposition qu’elle n’ait chassé pendant ce long temps que le quart de l’eau que la pierre contenait.


CINQUIÈME EXPÉRIENCE.

Toutes les pierres calcaires dont la pesanteur spécifique augmente par la longue application de la chaleur acquièrent, par cette espèce de dessèchement, plus de dureté qu’elles n’en avaient auparavant. Voulant reconnaître si cette dureté serait durable, et si elles ne perdraient pas avec le temps, non-seulement cette qualité, mais celle de l’augmentation de densité qu’elles avaient acquise par la chaleur, je fis exposer aux injures de l’air plusieurs parties des trois espèces de pierres qui avaient servi aux expériences précédentes, et qui toutes avaient été plus ou moins chauffées pendant cinq mois. Au bout de quinze jours, pendant lesquels il y avait eu des pluies, je les fis sonder et frapper au marteau par le même ouvrier qui les avait trouvées très dures quinze jours auparavant ; il reconnut avec moi que la pierre à feu qui était la plus poreuse, et dont le grain était le plus gros, n’était déjà plus aussi dure et qu’elle se laissait travailler plus aisément. Mais les deux autres espèces, et surtout celle dont le grain était le plus fin, avaient conservé la même dureté ; néanmoins elles la perdirent en moins de six semaines. Et les ayant fait alors éprouver à la balance hydrostatique, je reconnus qu’elles avaient aussi perdu une assez grande quantité de la matière fixe que la chaleur y avait déposée. Néanmoins au bout de plusieurs mois elles étaient toujours spécifiquement plus pesantes d’un 150e ou d’un 160e que celles qui n’avaient point été chauffées. La différence devenant alors trop difficile à saisir entre ces morceaux et ceux qui n’avaient pas été chauffés, et qui tous étaient également exposés à l’air, je fus forcé de borner là cette expérience, mais je suis persuadé qu’avec beaucoup de temps ces pierres auraient perdu toute leur pesanteur acquise. Il en est de même de la dureté : après quelques mois d’exposition à l’air, les ouvriers les ont traitées tout aussi aisément que les autres pierres de même espèce qui n’avaient point été chauffées.

Il résulte de cette expérience, que les particules de chaleur qui se fixent dans la pierre, n’y sont, comme je l’ai dit, unies que par force ; que, quoiqu’elle les conserve après son entier refroidissement et pendant assez longtemps, si on la préserve de toute humidité, elle les perd néanmoins peu à peu par les impressions de l’air et de la pluie, sans doute parce que l’air et l’eau ont plus d’affinité avec la pierre que les parties de la chaleur qui s’y étaient logées. Cette chaleur fixe n’est plus active ; elle est pour ainsi dire morte, et entièrement passive : dès lors bien loin de pouvoir chasser l’humidité, celle-ci la chasse à son tour et reprend toutes les places qu’elle lui avait cédées. Mais dans d’autres matières qui n’ont pas avec l’eau autant d’affinité que la pierre calcaire, cette chaleur une fois fixée n’y demeure-t-elle pas constamment et à toujours ? c’est ce que j’ai cherché à constater par l’expérience suivante.