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pierre, chauffée à ce degré pendant cinq mois, avait augmenté en pesanteur spécifique d’un 65e, c’est-à-dire de presque un quart de plus que celle qui avait éprouvé le degré de chaleur voisin de celui de la calcination, et je conclus de cette différence que l’effet de la calcination commençait à se préparer dans la pierre qui avait subi le plus grand feu, au lieu que celle qui n’avait éprouvé qu’une moindre chaleur avait conservé toutes les parties fixes qu’elle y avait déposées.

Pour me satisfaire pleinement sur ce sujet et reconnaître si toutes les pierres calcaires augmentent en pesanteur spécifique par une chaleur constamment et longtemps appliquée, je fis six nouvelles épreuves sur deux autres espèces de pierres. Celle dont était construit l’intérieur de mon fourneau, et qui a servi aux expériences précédentes, s’appelle dans le pays pierre à feu, parce qu’elle résiste plus à l’action du feu que toutes les autres pierres calcaires. Sa substance est composée de petits graviers calcaires liés ensemble par un ciment pierreux qui n’est pas fort dur, et qui laisse quelques interstices vides ; sa pesanteur est néanmoins plus grande que celle des autres pierres calcaires d’environ un 20e. En ayant éprouvé plusieurs morceaux au feu de mes chaufferies, il a fallu pour les calciner plus du double du temps de celui qu’il fallait pour réduire en chaux les autres pierres : on peut donc être assuré que les expériences précédentes ont été faites sur la pierre calcaire la plus résistante au feu. Les pierres auxquelles je vais la comparer étaient aussi de très bonnes pierres calcaires dont on fait la plus belle taille pour les bâtiments : l’une a le grain fin et presque aussi serré que le marbre ; l’autre a le grain un peu plus gros, mais toutes deux sont compactes et pleines, toutes deux font de l’excellente chaux grise, plus liante et plus forte que la chaux commune, qui est plus blanche.

En pesant dans l’air et dans l’eau trois morceaux chauffés et trois autres non chauffé de cette première pierre dont le grain était le plus fin, j’ai trouvé qu’elle avait gagné un 56e en pesanteur spécifique, par l’application constante pendant cinq mois d’une chaleur d’environ 90 degrés, ce que j’ai reconnu, parce qu’elle était voisine de celle dont j’avais fait casser les morceaux dans la voûte extérieure du fourneau, et que le soufre ne fondait plus contre ses parois : en ayant donc fait enlever trois morceaux encore chauds pour les peser et comparer avec d’autres morceaux de la même pierre qui étaient restés exposés à l’air libre, j’ai vu que l’un des morceaux avait augmenté d’un 60e, le second d’un 62e, le troisième d’un 56e. Ainsi cette pierre à grain très fin a augmenté en pesanteur spécifique de près d’un tiers de plus que la pierre à feu chauffée au degré voisin de celui de la calcination, et aussi d’environ un 7e de plus que cette même pierre à feu chauffée à 95 degrés, c’est-à-dire à une chaleur à peu près égale.

La seconde pierre, dont le grain était moins fin, formait une assise entière de la voûte extérieure du fourneau, et je fus maître de choisir les morceaux dont j’avais besoin pour l’expérience, dans un quartier qui avait subi pendant le même temps de cinq mois le même degré 95 de chaleur que la pierre à feu : en ayant donc fait casser trois morceaux, et m’étant muni de trois autres qui n’avaient pas été chauffés, je trouvai que l’un de ces morceaux chauffés avait augmenté d’un 54e, le second d’un 63e et le troisième d’un 66e ; ce qui donne pour la mesure moyenne un 61e d’augmentation en pesanteur spécifique.

Il résulte de ces expériences : 1o que toute pierre calcaire, chauffée pendant longtemps, acquiert de la masse et devient plus pesante ; cette augmentation ne peut venir que des particules de chaleur qui la pénètrent et s’y unissent par leur longue résidence, et qui dès lors en deviennent partie constituante sous une forme fixe ; 2o que cette augmentation de pesanteur spécifique étant d’un 61e ou d’un 56e ou d’un 65e ne se trouve varier ici que par la nature des différentes pierres ; que celles dont le grain est le plus fin, sont celles dont la chaleur augmente le plus la masse, et dans lesquelles les pores étant plus petits, elle se fixe plus aisément et en plus grande quantité ; 3o que la quantité de chaleur qui se fixe dans la pierre est encore bien plus grande que ne le désigne ici l’augmentation de la