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TROISIÈME EXPÉRIENCE.

Après avoir tiré du fourneau, par l’ouverture de la coulée, tout le charbon qui y était contenu et l’avoir entièrement vidé de mine et de toute autre matière, je fis maçonner de nouveau cette ouverture et boucher avec le plus grand soin celle du gueulard en haut, toutes les pierres des parois du fourneau étant encore excessivement chaudes ; l’air ne pouvait donc entrer dans le fourneau pour le rafraîchir, et la chaleur pouvait en sortir qu’à travers des murs de plus de 9 pieds d’épaisseur ; d’ailleurs il n’y avait dans sa cavité, qui était absolument vide, aucune matière combustible, ni même aucune autre matière. Observant donc ce qui arriverait, je m’aperçus que tout l’effet de la chaleur se portait en haut, et que, quoique cette chaleur ne fût pas du feu vivant ou nourri par aucune matière combustible, elle fit rougir en peu de temps la forte plaque de tôle qui couvrait le gueulard ; que cette incandescence donnée par la chaleur obscure à cette large pièce de fer se communiqua par le contact à toute la masse de poudre de charbon qui recouvrait les mortiers de cette plaque et enflamma du bois que je fis mettre dessus. Ainsi la seule évaporation de cette chaleur obscure et morte, qui ne pouvait sortir que des pierres du fourneau, produisit ici le même effet que le feu vif et nourri. Cette chaleur, tendant toujours en haut et se réunissant toute à l’ouverture du gueulard au-dessous de la plaque de fer, la rendit rouge, lumineuse et capable d’enflammer des matières combustibles. D’où l’on doit conclure qu’en augmentant la masse de la chaleur obscure, on peut produire de la lumière de la même manière qu’en augmentant la masse de la lumière on produit de la chaleur ; que dès lors ces deux substances sont réciproquement convertibles de l’une en l’autre, et toutes deux nécessaires à l’élément du feu.

Lorsqu’on enleva cette plaque de fer qui couvrait l’ouverture supérieure du fourneau et que la chaleur avait fait rougir, il en sortit une vapeur légère et qui parut enflammée, mais qui se dissipa dans un instant : j’observai alors les pierres des parois du fourneau ; elles me parurent calcinées en très grande partie et très profondément ; et en effet, ayant laissé refroidir le fourneau pendant dix jours, elles se sont trouvées calcinées jusqu’à 2 pieds, et même 2 pieds 1/2 de profondeur, ce qui ne pouvait provenir que de la chaleur que j’y avait renfermée pour faire mes expériences, attendu que dans les autres fondages le feu animé par les soufflets n’avait jamais calciné les mêmes pierres à plus de 8 pouces d’épaisseur dans les endroits où il est le plus vif, et seulement à 2 ou 3 pouces dans tout le reste, au lieu que toutes les pierres, depuis le creuset jusqu’au terre-plein du fourneau, ce qui fait une hauteur de 20 pieds, étaient généralement réduites en chaux de 1 pied 1/2, de 2 pieds, et même de 2 pieds 1/2 d’épaisseur : comme cette chaleur renfermée n’avait pu trouver d’issue, elle avait pénétré les pierres bien plus profondément que la chaleur courante.

On pourrait tirer de cette expérience les moyens de cuire la pierre et de faire de la chaux à moindres frais, c’est-à-dire de diminuer de beaucoup la quantité de bois en se servant d’un fourneau bien fermé au lieu de fourneaux ouverts ; il ne faudrait qu’une petite quantité de charbon pour convertir en chaux, dans moins de quinze jours, toutes les pierres contenues dans le fourneau, et les murs même du fourneau à plus d’un pied d’épaisseur, s’il était bien exactement fermé.

Dès que le fourneau fut assez refroidi pour permettre aux ouvriers d’y travailler, on fut obligé d’en démolir tout l’intérieur du haut en bas, sur une épaisseur circulaire de 4 pieds ; on en tira cinquante-quatre muids de chaux, sur laquelle je fis les observations suivantes : 1o toute cette pierre, dont la calcination s’était faite à feu lent et concentré, n’était pas devenue aussi légère que la pierre calcinée à la manière ordinaire : celle-ci, comme je l’ai dit, perd à très peu près la moitié de son poids, et celle de mon fourneau n’en avait