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ment de l’air qui manquait ici à l’entretien du feu. Ainsi cette chaleur très grande, et qui s’est augmentée au point de calciner profondément les pierres, n’a été entretenue que par 248 pieds cubes d’air et par les vapeurs de l’humidité des murs ; et quand nous supposerions le produit successif de cette humidité cent fois plus considérable que le volume d’air contenu dans la cavité du fourneau, cela ne ferait toujours que 24 800 pieds cubes de vapeurs propres à entretenir la combustion : quantité que le feu libre et animé par les soufflets consommerait en moins de trente minutes, tandis que la chaleur sourde ne la consomme qu’en quinze jours.

Et ce qu’il est nécessaire d’observer encore, c’est que le même feu, libre et animé, aurait consumé en onze ou douze heures les 3 600 livres de charbon que la chaleur obscure n’a consommées qu’en quinze jours ; elle n’a donc eu que la trentième partie de l’aliment du feu libre, puisqu’il y a eu trente fois autant de temps employé à la consommation de la matière combustible, et en même temps il y a eu environ sept cent vingt fois moins d’air ou de vapeurs employées à la combustion. Néanmoins les effets de cette chaleur obscure ont été les mêmes que ceux du feu libre, car il aurait fallu quinze jours de ce feu violent et animé pour calciner les pierres au même degré qu’elles l’ont été par la chaleur seule : ce qui nous démontre, d’une part, l’immense déperdition de la chaleur lorsqu’elle s’exhale avec les vapeurs et la flamme, et d’autre part les grands effets qu’on peut attendre de sa concentration ou, pour mieux dire, de sa coercition, de sa détention ; car cette chaleur retenue et concentrée ayant produit les mêmes effets que le feu libre et violent, avec trente fois moins de matière combustible, et sept cent vingt fois moins d’air, et étant supposée en raison composée de ces deux éléments, on doit en conclure que dans nos grands fourneaux à fondre les mines de fer, il se perd vingt-un mille fois plus de chaleur qu’il ne s’en applique soit à la mine, soit aux parois du fourneau, en sorte qu’on imaginerait que les fourneaux de réverbère, où la chaleur est plus concentrée, devraient produire le feu le plus puissant. Cependant j’ai acquis la preuve du contraire, nos mines de fer ne s’étant pas même agglutinées par le feu du réverbère de la glacerie de Rouelles en Bourgogne, tandis qu’elles fondent en moins de douze heures au feu de mes fourneaux à soufflets. Cette différence tient au principe que j’ai donné : le feu, par sa vitesse ou par son volume, produit des effets tout différents sur certaines substances telles que la mine de fer, tandis que sur d’autres substances, telles que la pierre calcaire, il peut en produire de semblables. La fusion est en général une opération prompte qui doit avoir plus de rapport avec la vitesse du feu que la calcination, qui est presque toujours lente, et qui doit, dans bien des cas, avoir plus de rapport au volume du feu ou à son long séjour qu’à sa vitesse. On verra, par l’expérience suivante, que cette même chaleur, retenue et concentrée, n’a fait aucun effet sur la mine de fer.


DEUXIÈME EXPÉRIENCE.

Dans ce même fourneau de 33 pieds de hauteur, après avoir fondu de la mine de fer pendant environ quatre mois, je fis couler les dernières gueuses en remplissant toujours avec du charbon, mais sans mine, afin d’en tirer toute la matière fondue ; et quand je me fus assuré qu’il n’en restait plus, je fis cesser le vent, boucher exactement l’ouverture de la tuyère et celle de la coulée, qu’on maçonna avec de la brique et du mortier de glaise mêlé de sable. Ensuite je fis porter sur le charbon autant de mine qu’il pouvait en entrer dans le vide qui était au-dessus du fourneau ; il y entra cette première fois vingt-sept mesures de 60 livres, c’est-à-dire 1 620 livres pour affleurer le niveau du gueulard ; après quoi je fis boucher cette ouverture avec la même plaque de forte tôle et du mortier de glaise et sable, et encore de la poudre de charbon en grande quantité : on imagine bien quelle immense chaleur je renfermais ainsi dans le fourneau ; tout le charbon en était allumé du