Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon, et chargé d’un pied d’épaisseur de cette poudre de charbon mouillée ; pendant que l’on bouchait, on a remarqué que la flamme ne laissait pas de retentir assez fortement dans l’intérieur du fourneau ; mais en moins d’une minute la flamme a cessé de retentir, et l’on n’entendait plus aucun bruit ni murmure, en sorte qu’on aurait pu penser que l’air n’ayant point d’accès dans la cavité du fourneau, le feu y était entièrement étouffé.

On laissé le fourneau ainsi bouché partout, tant au-dessus qu’au-dessous, depuis le 13 septembre jusqu’au 28 du même mois, c’est-à-dire pendant quinze jours. J’ai remarqué pendant ce temps, que, quoiqu’il n’y eût point de flamme dans le fourneau, ni même de feu lumineux, la chaleur ne laissait pas d’augmenter et de se communiquer autour de la cavité du fourneau.

Le 28 septembre, à dix heures du matin, on a débouché l’ouverture supérieure du fourneau avec précaution, dans la crainte d’être suffoqué par la vapeur du charbon ; j’ai remarqué, avant de l’ouvrir, que la chaleur avait gagné jusqu’à 4 pieds 1/2 dans l’épaisseur du massif qui forme la tour du fourneau ; cette chaleur n’était pas fort grande aux environs de la bure (c’est ainsi qu’on appelle la partie supérieure du fourneau qui s’élève au-dessus de son terre-plein). Mais à mesure qu’on approchait de la cavité, les pierres étaient déjà si fort échauffées, qu’il n’était pas possible de les toucher un instant : les mortiers dans les joints des pierres étaient en partie brûlés, et il paraissait que la chaleur était beaucoup plus grande encore dans le bas du fourneau, car les pierres du dessus de la tympe et de la tuyère étaient excessivement chaudes dans toute leur épaisseur jusqu’à 4 ou 5 pieds.

Au moment qu’on a débouché le gueulard du fourneau, il en est sorti une vapeur suffocante, dont il a fallu s’éloigner, et qui n’a pas laissé de faire mal à la tête à la plupart des assistants. Lorsque cette vapeur a été dissipée, on a mesuré de combien le charbon enfermé et privé d’air courant pendant quinze jours avait diminué, et l’on a trouvé qu’il avait baissé de 14 pieds 5 pouces de hauteur ; en sorte que le fourneau était vide dans toute sa partie supérieure jusqu’auprès de la cuve.

Ensuite j’ai observé la surface de ce charbon, et j’y ai vu une petite flamme qui venait de naître ; il était absolument noir et sans flamme auparavant. En moins d’une heure cette petite flamme bleuâtre est devenue rouge dans le centre, et s’élevait alors d’environ 2 pieds au-dessus du charbon.

Une heure après avoir débouché le gueulard, j’ai fait déboucher l’entrée du creuset : la première chose qui s’est présentée à cette ouverture n’a pas été du feu comme on aurait pu le présumer, mais des scories provenant du charbon, et qui ressemblaient à du mâchefer léger ; ce mâchefer était en assez grande quantité et remplissait tout l’intérieur du creuset, depuis la tympe à la rustine ; et ce qu’il y a de singulier, c’est que, quoiqu’il ne se fût formé que par une grande chaleur, il avait intercepté cette même chaleur au-dessus du creuset, en sorte que les parties de ce mâchefer qui étaient au fond n’étaient, pour ainsi dire, que tièdes ; néanmoins elles s’étaient attachées au fond et aux parois du creuset, et elles en avaient réduit en chaux quelques portions jusqu’à plus de 3 ou 4 pouces de profondeur.

J’ai fait tirer ce mâchefer et l’ai fait mettre à part pour l’examiner ; on a aussi tiré la chaux du creuset et des environs, qui était en assez grande quantité. Cette calcination, qui s’est faite par ce feu sans flamme, m’a paru provenir en partie de l’action de ces scories charbon. J’ai pensé que ce feu sourd et sans flamme était trop sec, et je crois que si j’avais mêlé quelque portion de laitier ou de terre vitrescible avec le charbon, cette terre aurait servi d’aliment à la chaleur, et aurait rendu des matières fondantes qui auraient préservé de la calcination la surface de l’ouvrage du fourneau.

Quoi qu’il en soit, il résulte de cette expérience, que la chaleur seule, c’est-à-dire la cha-