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dernier degré de sa perfection, parce qu’il ne pourrait que se détériorer encore par ces fréquentes chaudes vives ; qu’il faut au contraire choisir le fer qui, n’étant pas aussi épuré qu’il peut l’être, gagnera plutôt de la qualité qu’il n’en perdra par ces nouvelles chaudes ; mais cet article seul demanderait un grand travail fait et dirigé par un homme aussi éclairé que M. de Montbeillard, et l’objet en est d’une si grande importance pour la vie des hommes et pour la gloire de l’État qu’il mérite la plus grande attention.

Le fer se décompose par l’humidité comme par le feu ; il attire l’humidité de l’air, s’en pénètre et se rouille, c’est-à-dire se convertit en une espèce de terre sans liaison, sans cohérence ; cette se fait en assez peu de temps dans les fers qui sont de mauvaise qualité ou mal fabriqués : ceux dont l’étoffe est bonne, et dont les surfaces sont bien lisses ou polies, se défendent plus longtemps, mais tous sont sujets à cette espèce de mal, qui de la superficie gagne assez promptement l’intérieur, et détruit avec le temps le corps entier du fer. Dans l’eau, il se conserve beaucoup mieux qu’à l’air, et quoiqu’on s’aperçoive de son altération par la couleur noire qu’il y prend après un long séjour, il n’est point dénaturé, peut être forgé, au lieu que celui qui a été exposé à l’air pendant quelques siècles, et que les ouvriers appellent du fer lune, parce qu’ils s’imaginent que la lune le mange, ne peut ni se forger ni servir à rien, à moins qu’on ne le revivifie comme les rouilles et les safrans de mars, ce qui coûte communément plus que le fer ne vaut. C’est en ceci que consiste la différence des deux décompositions du fer : dans celle qui se fait par le feu, la plus grande partie du fer se brûle et s’exhale en vapeurs comme les autres matières combustibles ; il ne reste qu’un mâchefer qui contient, comme celui du bois, une petite quantité de matière très attirable par l’aimant, qui est bien du vrai fer, mais qui m’a paru d’une nature singulière et semblable, comme je l’ai dit, au sablon ferrugineux qui se trouve en si grande quantité dans le platine. La décomposition par l’humidité ne diminue pas à beaucoup près autant que la combustion la masse du fer, mais elle en altère toutes les parties au point de leur faire faire perdre leur vertu magnétique, leur cohérence et leur couleur métallique ; c’est de cette rouille ou terre de fer que sont en grande partie composées les mines en grain : l’eau, après avoir atténué ces particules de rouille et les avoir réduites en molécules insensibles, les charrie et les dépose par filtration dans le sein de la terre, où elles se réunissent en grain par une sorte de cristallisation qui se fait, comme toutes autres, par l’attraction mutuelle des molécules analogues ; et comme cette rouille de fer était privée de la vertu magnétique, il n’est pas étonnant que les mines en grain qui en proviennent en soient également dépourvues. Ceci me paraît démontrer d’une manière assez claire que le magnétisme suppose l’action précédente du feu, que c’est une qualité particulière que le feu donne au fer, et que l’humidité de l’aire lui enlève en le décomposant.

Si l’on met dans un vase une grande quantité de limaille de fer pure qui n’a pas encore pris de rouille, et si on la couvre d’eau, on verra, en la laissant sécher, que cette limaille se réunit par ce seul intermède, au point de faire une masse de fer assez solide pour qu’on ne puisse la casser qu’à coups de masse ; ce n’est donc pas précisément l’eau qui décompose le fer et qui produit la rouille, mais plutôt les sels et les vapeurs sulfureuses de l’air, car on sait que le fer se dissout très aisément par les acides et par le soufre. En présentant une verge de fer bien rouge à une bille de soufre, le fer coule dans instant, et, en le recevant dans l’eau, on obtient des grenailles qui ne sont plus du fer ni même de la fonte, car j’ai éprouvé qu’on ne pouvait pas les réunir au feu pour les forger ; c’est une matière qu’on ne peut comparer qu’à la pyrite martiale, dans laquelle le fer paraît être également décomposé par le soufre ; et je crois que c’est par cette raison que l’on trouve presque partout à la surface de la terre et sous les premiers lits de ses couches extérieures une assez grande quantité de ces pyrites, dont le grain ressemble à celui du mauvais fer, mais qui n’en contiennent qu’une très petite quantité, mêlée avec beaucoup d’acide vitriolique et plus ou moins de soufre.