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qui n’en auraient pas besoin s’ils étaient de bon fer fabriqué avec des languettes passées sous les cylindres.

J’avoue qu’il y a de certains usages pour lesquels on pourrait fabriquer du fer aigre, mais encore ne faut-il pas qu’il soit à trop gros grain ni trop cassant ; les clous pour les petites lattes à tuile, les broquettes et autres petits clous plient lorsqu’ils sont faits d’un fer trop doux, mais à l’exception de ce seul emploi, qu’on ne remplira toujours que trop, je ne vois pas qu’on doive se servir de fer aigre. Et si, dans une bonne manufacture, on en veut faire une certaine quantité, rien n’est plus aisé : il ne faut qu’augmenter d’une mesure ou d’une mesure et demie de mine au fourneau, et mettre à part les gueuses qui en proviendront, la fonte en sera moins bonne et plus blanche. On les fera forger à part en ne donnant que deux chaudes à chaque bande, et l’on aura du fer aigre, qui se fendra plus aisément que l’autre et qui donnera de la verge cassante.

Le meilleur fer, c’est-à-dire celui qui a le plus de nerf, et par conséquent le plus de ténacité, peut éprouver cent et deux cents coups de masse sans se rompre ; et comme il faut néanmoins le casser pour tous les usages de la fenderie et de la batterie, et que cela demanderait beaucoup de temps, même en s’aidant du ciseau d’acier, il vaut mieux faire couper sous le marteau de la forge les barres encore chaudes à moitié de leur épaisseur, cela n’empêche pas le marteleur de les achever, et épargne beaucoup de temps au tendeur et au platineur. Tout le fer que j’ai fait casser à froid et à grands coups de masse s’échauffe d’autant plus qu’il est plus fortement et plus souvent frappé ; non seulement il s’échauffe au point de brûler très vivement, mais il s’aimante comme s’il eût été frotté sur un très bon aimant. M’étant assuré de la constance de cet effet par plusieurs observations successives, je voulus voir si sans percussion je pourrais de même produire dans le fer la vertu magnétique : je fis prendre pour cela une verge de 3 lignes de grosseur de mon fer le plus liant, et que je connaissais pour être très difficile à rompre, et l’ayant fait plier et replier, par les mains d’un homme fort, sept ou huit fois de suite sans pouvoir la rompre, je trouvai le fer très chaud au point où on l’avait plié, et il avait en même temps toute la vertu d’un barreau bien aimanté. J’aurai occasion dans la suite de revenir à ce phénomène, qui tient de très près à la théorie du magnétisme et de l’électricité, et que je ne rapporte ici que pour démontrer que plus une matière est tenace, c’est-à-dire plus il faut d’efforts pour la diviser, plus elle est près de produire de la chaleur et tous les autres effets qui peuvent en dépendre, et prouver en même temps que la simple pression, produisant le frottement des parties intérieures, équivaut à l’effet de la plus violente percussion.

On soude tous les jours le fer avec lui-même ou sur lui-même, mais il faut la plus grande précaution pour qu’il ne se trouve pas un peu plus faible aux endroits des soudures : car, pour réunir et souder les deux bouts d’une barre, on les chauffe jusqu’au blanc le plus vif ; le fer dans cet état est tout prêt à fondre, il n’y arrive pas sans perdre toute sa ténacité et par conséquent tout son nerf ; il ne peut donc en reprendre, dans toute cette partie qu’on soude, que par la percussion des marteaux dont deux ou trois ouvriers font succéder les coups le plus vite qu’il leur est possible, mais cette percussion est très faible et même lente en comparaison de celle du marteau de la forge ou même de celle du martinet : ainsi l’endroit soudé, quelque bonne que soit l’étoffe, n’aura que peu de nerf et souvent point du tout, si l’on a pas bien saisi l’instant où les deux morceaux sont également chauds, et si le mouvement du marteau n’a pas été assez prompt et assez fort pour les bien réunir. Aussi, quand on a des pièces importantes à souder, on fera bien de le faire sous les martinets les plus prompts. La soudure, dans les canons des armes à feu, est une des choses les plus importantes : M. de Montbeillard, dans le Mémoire que j’ai cité ci-dessus, donne de très bonnes vues sur cet objet, et même des expériences décisives. Je crois avec lui que, comme il faut chauffer à blanc nombre de fois la bande ou maquette pour souder le canon dans toute sa longueur, il ne faut pas employer du fer qui serait au