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être ceux qu’on emploie pour les roues, et particulièrement les bandages qu’on fait d’une pièce, dans lesquels il faut au moins un tiers de nerf ; les fers qu’on livre à la fenderie doivent être de bonne qualité, c’est-à-dire avoir au moins un tiers de nerf, car j’ai observé que le feu doux du four et la forte compression des cylindres rendent, à la vérité, le grain de fer un peu plus fin et donnent même du nerf à celui qui n’avait que du grain très fin, mais ils ne convertissent jamais en nerf le gros grain des fers communs ; en sorte qu’avec du mauvais fer à gros grain on pourra faire de la verge et des fers aplatis dont le grain sera moins gros, mais qui seront toujours trop cassants pour être employés aux usages dont je viens de parler.

Il en est de même de la tôle : on ne peut pas employer de trop bonne étoffe pour la faire, et il est bien fâcheux qu’on fasse tout le contraire, car presque toutes nos tôles, en France, se font avec du fer commun ; elles se rompent en les pliant, et se brûlent et pourrissent en peu de temps ; tandis que de la tôle faite, comme celle de Suède et d’Angleterre, avec du bon fer bien nerveux, se tordra cent fois sans rompre, et durera peut-être vingt fois plus que les autres. On en fait à mes forges de toute grandeur et de toute épaisseur ; on en emploie à Paris pour les casseroles et autres pièces de cuisine qu’on étame, et qu’on a raison de préférer aux casseroles de cuivre. On a fait, avec cette même tôle, grand nombre de poêles, de chaîneaux, de tuyaux, et j’ai, depuis quatre ans, l’expérience mille fois réitérée qu’elle peut durer comme je viens de le dire, soit au feu, soit à l’air, beaucoup plus que les tôles communes ; mais comme elle est un peu plus chère, le débit en est moindre, et l’on n’en demande que pour de certains usages particuliers auxquels les autres tôles ne pourraient être employées. Lorsqu’on est au fait, comme j’y suis, du commerce des fers, on dirait qu’en France on a fait un pacte général de ne se servir que de ce qu’il y a de plus mauvais en ce genre.

Avec du fer nerveux on pourra toujours faire d’excellente tôle, en faisant passer le fer des languettes sous les cylindres de la fenderie : ceux qui aplatissent ces languettes sous le martinet, après les avoir fait chauffer au charbon, sont dans un très mauvais usage ; le feu de charbon poussé par les soufflets gâte le fer de ces languettes, celui du four de la fenderie ne fait que le perfectionner. D’ailleurs, il en coûte plus de moitié moins pour faire les languettes au cylindre que pour les faire au martinet ; ici l’intérêt s’accorde avec la théorie de l’art : il n’y a donc que l’ignorance qui puisse entretenir cette pratique, qui néanmoins est la plus générale, car il y a peut-être, sur toutes les tôles qui se fabriquent en France, plus des trois quarts dont les languettes ont été faites au martinet. Cela ne peut pas être autrement, me dira-t-on : toutes les batteries n’ont pas à côté d’elles une fenderie et des cylindres montés, je l’avoue, et c’est ce dont je me plains. On a tort de permettre ces petits établissements particuliers, qui ne subsistent qu’en achetant dans les grosses forges les fers au meilleur marché, c’est-à-dire tous les plus médiocres, pour les fabriquer ensuite en tôle et en petits fers de la plus mauvaise qualité.

Un autre objet fort important sont les fers de charrue : on ne saurait croire combien la mauvaise qualité du fer dont on les fabrique fait de tort aux laboureurs. On leur livre inhumainement des fers qui cassent au moindre effort, et qu’ils sont forcés de renouveler presque aussi souvent que leurs cultures ; on leur fait payer bien cher du mauvais acier dont on arme la pointe de ces fers encore plus mauvais, et le tout est perdu pour eux au bout d’un an, et souvent en moins de temps ; tandis qu’en employant pour ces fers de charrue, comme pour la tôle, le fer le meilleur et le plus nerveux, on pourrait les garantir pour un usage de vingt ans, et même se dispenser d’en aciérer la pointe : car j’ai fait faire plusieurs centaines de ces fers de charrue, dont j’ai fait essayer quelques-uns sans acier, et ils se sont trouvés d’une étoffe assez ferme pour résister au labour. J’ai fait la même expérience sur un grand nombre de pioches ; c’est la mauvaise qualité de nos fers qui a établi chez les taillandiers l’usage général de mettre de l’acier à ces instruments de campagne,