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grande partie de sa ferraille, qui, quand elle est bien traitée et de bonne qualité, ne donne qu’un cinquième de déchet, et consomme moins de charbon que le fer de la gueuse. Les crasses qui sortent de ces vieux fers sont en bien moindre quantité, et ne conservent pas à beaucoup près autant de particules de fer que les autres. Avec des riblons qu’on renvoie des fileries que fournissent mes forges, et des rognures de tôle cisaillées que je fais fabriquer, j’ai souvent fait du fer qui était tout nerf, et dont le déchet n’était presque que d’un sixième ; tandis que le déchet du fer en gueuse est communément du double, c’est-à-dire d’un tiers, et souvent de plus du tiers si on veut obtenir du fer d’excellente qualité.

M. de Montbeillard, lieutenant-colonel au régiment royal d’artillerie, ayant été chargé pendant plusieurs années de l’inspection des manufactures d’armes à Charleville, Maubeuge et Saint-Étienne, a bien voulu me communiquer un Mémoire qu’il a présenté au ministre, et dans lequel il traite de cette fabrication du fer avec de vieilles ferrailles ; il dit, avec grande raison, « que les ferrailles qui ont beaucoup de surface, et celles qui proviennent des vieux fers et clous de chevaux ou fragments de petits cylindres ou carrés tors, ou des anneaux et boucles, toutes pièces qui supposent que le fer qu’on a employé pour les fabriquer était souple, liant et susceptible d’être plié, étendu ou tordu, doivent être préférées et recherchées pour la fabrication des canons de fusil. » On trouve, dans ce même Mémoire de M. de Montbeillard, d’excellentes réflexions sur les moyens de perfectionner les armes à feu et d’en assurer la résistance par le choix du bon fer et par la manière de le traiter : l’auteur rapporte une très bonne expérience[1], qui prouve clairement que les vieilles ferrailles et même les écailles ou exfoliations qui se détachent de la surface du fer, et que bien des gens prennent pour des scories, se soudent ensemble de la manière la plus intime, et que par conséquent le fer qui en provient est d’aussi bonne, et peut-être de meilleure qualité qu’aucun autre. Mais en même temps il conviendra avec moi, et il observe même, dans la suite de son Mémoire, que cet excellent fer ne doit pas être employé seul, par la raison même qu’il est trop parfait ; et en effet, un fer qui, sortant de la forge, a toute sa perfection, n’est excellent que pour être employé tel qu’il est, ou pour des ouvrages qui ne demandent que des chaudes douces : car toute chaude vive, toute chaleur à blanc la dénature ; j’en ai fait des épreuves plus que réitérées sur des morceaux de toute grosseur ; le petit fer se dénature un peu moins que le gros, mais tous deux perdent la plus grande partie de leur nerf dès la première chaude à blanc ; une seconde chaude pareille change et achève de détruire le nerf ; elle altère même la qualité du grain, qui, de fin qu’il était, devient grossier et brillant comme celui du fer le plus commun ; une troisième chaude rend ces grains encore plus gros, et laisse déjà voir entre leurs interstices des parties noires de matière brûlée ; enfin, en continuant de lui donner des chaudes, on arrive au dernier degré de sa décomposition, et on le réduit en une terre morte qui ne paraît plus contenir de substance métallique, et dont on ne peut faire aucun usage : car

  1. Qu’on prenne une barre de fer, large de deux à trois pouces, épaisse de deux à trois lignes, qu’on la chauffe au rouge, et qu’avec la panne du marteau on y pratique dans sa longueur une cannelure ou cavité, qu’on la plie sur elle-même pour la doubler et corroyer, l’on remplira ensuite la cannelure des écailles ou pailles en question, on lui donnera une chaude douce d’abord en rabattant les bords, pour empêcher qu’elles ne s’échappent, et on battra la barre comme on le pratique pour corroyer le fer avant de la chauffer au blanc ; on la chauffera ensuite blanche et fondante, et la pièce soudera à merveille ; on la cassera à froid et l’on n’y verra rien qui annonce que la soudure n’ait pas été complète et parfaite, et que toutes les parties du fer ne se soient pas pénétrées réciproquement sans laisser aucun espace vide. J’ai fait cette expérience aisée à répéter, qui doit rassurer sur les pailles, soit qu’elle soient plates ou qu’elles aient la forme d’aiguilles, puisqu’elles ne sont autre chose que du fer, comme la barre avec laquelle on les incorpore, où elles ne forment plus qu’une même masse avec elle.