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ouvriers au mois, et en faisant casser à la fin de chaque semaine quelques barres du fer qu’ils livrent, pour reconnaître s’ils ne sont pas ou trop pressés ou négligés. Le fer en bandes plates est toujours plus nerveux que le fer en barreaux ; s’il se trouve deux tiers de nerf sur un tiers de grain dans les bandes, on ne trouvera dans les barreaux, quoique faits de même étoffe, qu’environ un tiers de nerf sur deux tiers de grain, ce qui prouve bien clairement que la plus ou moins grande force du fer vient de la différente application du marteau ; s’il frappe plus constamment, plus fréquemment sur un même plan, comme celui des bandes plates, il en rapproche et en réunit mieux les parties que s’il frappe presque alternativement sur deux plans différents pour faire les barreaux carrés : aussi est-il plus difficile de bien souder du barreau que de la bande, et lorsqu’on veut faire du fer de tirerie, qui doit être en barreaux de 13 lignes et d’un fer très nerveux et assez ductile pour être converti en fil de fer, il faut le travailler plus lentement à l’affinerie, ne le tirer du feu que quand il est presque fondant et le faire suer sous le marteau le mieux qu’il est possible, afin de lui donner tout le nerf dont il est susceptible sous cette forme carrée, qui est la plus ingrate, mais qui paraît nécessaire ici, parce qu’il faut ensuite tirer de ces barreaux, qu’on coupe environ à 4 pieds, une verge de 18 ou 20 pieds par le moyen du martinet, sous lequel on l’allonge après l’avoir chauffée ; c’est ce qu’on appelle de la verge crénelée : elle est carrée comme le barreau dont elle provient, et porte sur les quatre faces des enfoncements successifs, qui sont la empreintes profondes de chaque coup du martinet ou petit marteau sous lequel on la travaille. Ce fer doit être de la plus grande ductilité pour passer jusqu’à la plus petite filière, et en même temps il ne faut pas qu’il soit trop doux, mais assez ferme pour ne pas donner trop de déchet ; ce point est assez difficile à saisir, aussi n’y a-t-il en France que deux ou trois forges dont on puisse tirer ces fers pour les fileries.

La bonne fonte est, à la vérité, la base de tout bon fer, mais il arrive souvent que par des mauvaises pratiques on gâte ce bon fer. Une de ces mauvaises pratiques, la plus généralement répandue, et qui détruit le plus le nerf et la ténacité du fer, c’est l’usage où sont les ouvriers de presque toutes les forges de tremper dans l’eau la première portion de la pièce qu’ils viennent de travailler, afin de pouvoir la manier et la reprendre plus promptement ; j’ai vu, avec quelque surprise, la prodigieuse différence qu’occasionne cette trempe, surtout en hiver et lorsque l’eau est froide : non seulement elle rend cassant le meilleur fer, mais même elle en change le grain et en détruit le nerf, au point qu’on n’imaginerait pas que c’est le même fer, si l’on n’en était pas convaincu par ses yeux en faisant casser l’autre bout du même barreau, qui, n’ayant point été trempé, conserve son nerf et son grain ordinaire. Cette trempe, en été, fait beaucoup moins de mal, mais en fait toujours un peu : et, si l’on veut avoir du fer toujours de la même bonne qualité, il faut absolument proscrire cet usage, ne jamais tremper le fer chaud dans l’eau, et attendre, pour le manier, qu’il se refroidisse à l’air.

Il faut que la fonte soit bonne pour produire du fer aussi nerveux, aussi tenace que celui qu’on peut tirer des vieilles ferrailles refondues, non pas en les jetant au fourneau de fusion, mais en les mettant au feu de l’affinerie ; tous les ans on achète pour mes froges une assez grande quantité de ces vieilles ferrailles, dont, avec un peu de soin, l’on fait d’excellent fer. Mais il y a du choix dans ces ferrailles : celles qui proviennent des rognures de la tôle ou des morceaux cassés du fil de fer, qu’on appelle des riblons, sont les meilleures de toutes, parce qu’elles sont d’un fer plus pur que les autres : on les achète aussi quelque chose de plus, mais en général ces vieux fers, quoique de qualité médiocre, en produisent de très bon lorsqu’on sait les traiter. Il ne faut jamais les mêler avec la fonte ; si même il s’en trouve quelques morceaux parmi les ferrailles, il faut les séparer ; il faut aussi mettre une certaine quantité de crasses dans le foyer, et le feu doit être moins poussé, moins violent, que pour le travail du fer en gueuse, sans quoi l’on brûlerait une