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tion étant un effet général, constant et permanent, l’impulsion qui, dans la plupart des corps, est particulière, et n’est ni constante ni permanente, en dépend donc comme un effet particulier dépend d’un effet général : car au contraire, si toute impulsion était détruite, l’attraction subsisterait et n’en agirait pas moins, tandis que celle-ci venant à cesser, l’autre serait non seulement sans exercice, mais même sans existence ; c’est donc cette différence essentielle qui subordonne l’impulsion à l’attraction dans toute matière brute et purement passive.

Mais cette impulsion qui ne peut ni s’exercer ni se transmettre dans les corps bruts qu’au moyen du ressort, c’est-à-dire du secours de la force d’attraction, dépend encore plus immédiatement, plus généralement de la force qui produit la chaleur, car c’est principalement par le moyen de la chaleur que l’impulsion pénètre dans les corps organisés, c’est par la chaleur qu’ils se forment, croissent et se développent. On peut rapporter à l’attraction seule tous les effets de la matière brute, et à cette même force d’attraction, jointe à celle de la chaleur[NdÉ 1], tous les phénomènes de la matière vive.

J’entends par matière vive, non seulement tous les êtres qui vivent ou végètent, mais encore toutes les molécules organiques vivantes, dispersées et répandues dans les détriments ou résidus des corps organisés ; je comprends encore dans la matière vive celle de la lumière, du feu, de la chaleur, en un mot toute matière qui nous paraît être active par elle-même. Or cette matière vive tend toujours du centre à la circonférence, au lieu que la matière brute tend au contraire de la circonférence au centre ; c’est une force expansive qui anime la matière vive, et c’est une force attractive à laquelle obéit la matière brute : quoique les directions de ces deux forces soient diamétralement opposées, l’action de chacune ne s’en exerce pas moins ; elles se balancent sans jamais se détruire, et de la combinaison de ces deux forces également actives résultent tous les phénomènes de l’univers.

Mais, dira-t-on, vous réduisez toutes les puissances de la nature à deux forces, l’une attractive et l’autre expansive, sans donner la cause ni de l’une ni de l’autre, et vous subordonnez à toutes deux l’impulsion qui est la seule force dont la cause nous soit connue et démontrée par le rapport de nos sens ; n’est-ce pas abandonner une idée claire, et y substituer deux hypothèses obscures ?

À cela je réponds, que, ne connaissant rien que par comparaison, nous n’aurons jamais d’idée de ce qui produit un effet général, parce que cet effet appartenant à tout, on ne peut dès lors le comparer à rien. Demander quelle est la cause de la force attractive,

    séparément ne peuvent, recevoir aucune action, elles ne peuvent en communiquer ; la partie postérieure, qui est frappée la première, ne pourra pas communiquer le mouvement à la partie antérieure, puisque cette partie postérieure qui a été supposée inflexible ne peut pas changer, eu égard aux autres parties ; donc il serait impossible de communiquer aucun mouvement à un corps inflexible. Mais l’expérience nous apprend qu’on communique le mouvement à tous les corps ; donc tous les corps sont à ressort, donc il n’y a point de corps parfaitement durs et inflexibles dans la nature. Un de mes amis (M. Guéneau de Montbeillard), homme d’un excellent esprit, m’a écrit à ce sujet dans les termes suivants : « De la supposition de l’immobilité absolue des corps absolument durs, il suit qu’il ne faudrait peut-être qu’un pied cube de cette matière pour arrêter tout le mouvement de l’univers connu ; et si cette immobilité absolue était prouvée, il semble que ce n’est point assez de dire qu’il n’existe point de ces corps dans la nature, et qu’on peut les traiter d’impossibles, et dire que la supposition de leur existence est absurde : car le mouvement provenant du ressort leur ayant été refusé, ils ne peuvent dès lors être capables du mouvement provenant de l’attraction, qui est par hypothèse la cause du ressort. »

  1. Buffon considère la chaleur comme une « force » indépendante de l’attraction et l’impulsion ; nous savons aujourd’hui que la chaleur n’est pas autre chose qu’une manifestation spéciale du mouvement moléculaire de la matière.