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tout le reste de la perte de poids ne peut être attribué qu’à cette altération intérieure de la substance du fer qui perd de sa densité à chaque fois qu’on le chauffe ; en sorte que si l’on réitérait souvent cette même opération, on réduirait le fer à n’être plus qu’une matière friable et légère dont on ne pourrait faire aucun usage : car j’ai remarqué que les boulets non seulement avaient perdu de leur poids, c’est-à-dire de leur densité, mais qu’en même temps ils avaient aussi beaucoup perdu de leur solidité, c’est-à-dire de cette qualité dont dépend la cohérence des parties ; car j’ai vu, en les faisant frapper, qu’on pouvait les casser d’autant plus aisément qu’il avaient été chauffés plus souvent et plus longtemps.

C’est sans doute parce que l’on ignorait jusqu’à quel point va cette altération du fer, ou plutôt parce qu’on ne s’en doutait point du tout, que l’on imagina, il y a quelques années, dans notre artillerie, de chauffer les boulets dont il était question de diminuer le volume[1]. On m’a assuré que le calibre des canons nouvellement fondus étant plus étroit que celui des anciens canons, il a fallu diminuer les boulets, et que pour y parvenir on a fait rougir ces boulets à blanc afin de les ratisser ensuite plus aisément en les faisant tourner ; on m’a ajouté que souvent on est obligé de les faire chauffer cinq, six et même huit et neuf fois, pour les réduire autant qu’il est nécessaire. Or il est évident, par mes expériences, que cette pratique est mauvaise, car un boulet chauffé à blanc neuf fois doit perdre au moins le quart de son poids, et peut-être les trois quarts de sa solidité. Devenu cassant et friable, il ne peut servir pour faire brèche, puisqu’il se brise contre les murs ; et, devenu léger, il a aussi pour les pièces de campagne le grand désavantage de ne pouvoir aller aussi loin que les autres.

En général, si l’on veut conserver au fer sa solidité et son nerf, c’est-à-dire sa masse et sa force, il ne faut l’exposer au feu ni plus souvent ni plus longtemps qu’il est nécessaire ; il suffira, pour la plupart des usages, de le faire rougir sans pousser le feu jusqu’au blanc ; ce dernier degré de chaleur ne manque jamais de le détériorer ; et dans les ouvrages où il importe de lui conserver tout son nerf, comme dans les bandes que l’on forge pour les canons de fusil, il faudrait, s’il était possible, ne les chauffer qu’une fois pour les battre, plier et souder par une seule opération : car, quand le fer a acquis sous le marteau toute la force dont il est susceptible, le feu ne fait plus que la diminuer ; c’est aux artistes à voir jusqu’à quel point ce métal doit être malléé pour acquérir tout son nerf, et cela ne serait pas impossible à déterminer par des expériences ; j’en ai fait quelques-unes que je vais rapporter ici.


I. — Une boucle de fer de 18 lignes 2/3 de grosseur, c’est-à-dire 348 lignes carrées pour chaque montant de fer, ce qui fait pour le tout 696 lignes carrées de fer, a cassé sous le poids de 28 milliers qui tirait perpendiculairement : cette boucle de fer avait environ 10 pouces de largeur, sur 13 pouces de hauteur, et elle était à très peu près de la même grosseur partout. Cette boucle a cassé presque au milieu des branches perpendiculaires, et non pas dans les angles.

Si l’on voulait conclure du grand au petit sur la force du fer par cette expérience, il se trouverait que chaque ligne carrée de fer tirée perpendiculairement, ne pourrait porter qu’environ 40 livres.


II. — Cependant ayant mis à l’épreuve un fil de fer d’une ligne un peu forte de diamètre, ce morceau de fil de fer a porté, avant de se rompre, 482 livres. Et un pareil morceau de fil de fer n’a rompu que sous la charge 495 livres ; en sorte qu’il est à présumer qu’une verge carrée d’une ligne de ce même fer aurait porté encore davantage, puisqu’elle

  1. M. le marquis de Vallière ne s’occupait point alors des travaux de l’artillerie.