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seulement plus vraisemblables que les autres. Par exemple, je ne crois pas que le platine soit l’ouvrage des hommes : les Mexicains et les Péruviens savaient fondre et travailler l’or avant l’arrivée des Espagnols, et ils ne connaissaient pas le fer qu’il aurait néanmoins fallu employer dans le départ à sec en grande quantité. Les Espagnols eux-mêmes n’ont point établi de fourneaux à fondre les mines de fer en cette contrée, dans les premiers temps qu’ils l’ont habitée ; il y a donc toute apparence qu’ils ne se sont pas servis de limaille de fer pour le départ de l’or, du moins dans les commencements de leurs travaux, qui d’ailleurs ne remontent pas à deux siècles et demi, temps beaucoup trop court pour une production aussi abondante que celle du platine, qu’on ne laisse pas de trouver en assez grande quantité et dans plusieurs endroits.

D’ailleurs lorsqu’on mêle de l’or avec du fer en les faisant fondre ensemble, on peut toujours, par les voies chimiques, les séparer et retirer l’or en entier ; au lieu que jusqu’à présent les chimistes n’ont pu faire cette séparation dans le platine, ni déterminer la quantité d’or contenue dans ce minéral : cela semble prouver que l’or y est uni d’une manière plus intime que dans l’alliage ordinaire, et que le fer y est aussi, comme je l’ai dit, dans un état différent de celui du fer commun. Le platine ne paraît donc pas être l’ouvrage de l’homme, mais le produit de la nature, et je suis très porté à croire qu’il doit sa première origine au feu des volcans. Le fer brûlé, autant qu’il est possible, intimement uni avec l’or par la sublimation ou par la fusion, peut avoir produit ce minéral, qui, d’abord ayant été formé par l’action du feu le plus violent, aura ensuite éprouvé les impressions de l’eau et les frottements réitérés qui lui ont donné la forme qu’ils donnent à tous les autres corps, c’est-à-dire celle des galets et des angles émoussés. Mais il se pourrait aussi que l’eau seule eût produit le platine : car en supposant l’or et le fer tous deux divisés autant qu’ils peuvent l’être par la voie humide, leurs molécules, en se réunissant, auront pu former les grains qui le composent, et qui depuis les plus pesants jusqu’aux plus légers, contiennent tous de l’or et du fer. La proposition du chimiste qui offre de rendre à peu près autant d’or qu’on lui fournira de platine semblerait indiquer qu’il n’y a en effet qu’un onzième de fer sur dix onzièmes d’or dans ce minéral ou peut-être encore moins ; mais l’à peu près de ce chimiste est probablement d’un cinquième ou d’un quart, et ce serait toujours beaucoup si sa promesse pouvait se réaliser à un quart près.



SECONDE ADDITION

M’étant trouvé à Dijon, cet été 1773, l’Académie des sciences et belles-lettres de cette ville, dont j’ai l’honneur d’être membre, me parut désirer d’entendre la lecture de mes observations sur le platine ; je m’y prêtai d’autant plus volontiers, que sur une matière aussi neuve on ne peut trop s’informer ni consulter assez, et que j’avais lieu d’espérer de tirer quelques lumières d’une compagnie qui rassemble beaucoup de personnes instruites en tous genres. M. de Morveau, avocat général au parlement de Bourgogne, aussi savant physicien que grand jurisconsulte, prit la résolution de travailler sur le platine ; je lui donnai une portion de celui que j’avais attiré par l’aimant, et une autre portion de celui qui avait paru insensible au magnétisme, en le priant d’exposer ce minéral singulier au plus grand feu qu’il lui serait possible de faire, et quelque temps après il m’a remis les expériences suivantes, que j’ai trouvé bon de joindre ici avec les miennes.