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pénétration, c’est-à-dire augmentation dans la pesanteur spécifique, l’alliage en est d’autant plus aigre que la pénétration est plus grande, et le mélange devenu plus intime, comme on le reconnaît dans l’alliage appelé métal des cloches, quoiqu’il soit composé de deux métaux très ductiles. Or, rien n’est plus aigre ni plus pesant que le platine ; cela seul aurait dû faire soupçonner que ce n’est qu’un alliage fait par la nature, un mélange de fer et d’or, qui doit sa pesanteur spécifique en partie à ce dernier métal, et peut-être aussi en grande partie à la pénétration des deux matières dont il est composé.

Néanmoins cette pesanteur spécifique du platine n’est pas aussi grande que nos chimistes l’ont publié. Comme cette matière traitée seule et sans addition de fondants est très difficile à réduire en masse, qu’on n’en peut obtenir au feu du miroir brûlant que de très petites masses et que les expériences hydrostatiques faites sur des petits volumes sont si défectueuses qu’on n’en peut rien conclure, il me paraît qu’on s’est trompé sur l’estimation de la pesanteur spécifique de ce minéral. J’ai mis de la poudre d’or dans un petit tuyau de plume que j’ai pesé très exactement, j’ai mis dans le même tuyau un égal volume de platine, il pesait près d’un dixième de moins, mais cette poudre d’or était beaucoup trop fine en comparaison du platine. M. Tillet, qui joint à une connaissance approfondie des métaux, le talent rare de faire des expériences avec la plus grande précision, a bien voulu répéter, à ma prière, celle de la pesanteur spécifique du platine comparé à l’or pur. Pour cela, il s’est servi comme moi d’un tuyau de plume, et il a fait couper à la cisaille de l’or à 24 karats, réduit autant qu’il était possible à la grosseur des grains du platine, et il a trouvé par huit expériences, que la pesanteur du platine différait de celle de l’or pur d’un quinzième à très peu près ; mais nous avons observé tous deux que les grains d’or coupés à la cisaille avaient les angles beaucoup plus vifs que le platine ; celui-ci, vu à la loupe, est à peu près de la forme des galets roulés par l’eau, tous les angles sont émoussés, il est même doux au toucher, au lieu que les grains de cet or coupés à la cisaille avaient des angles vifs et des pointes tranchantes, en sorte qu’ils ne pouvaient pas s’ajuster ni s’entasser les uns sur les autres aussi aisément que ceux du platine ; tandis qu’au contraire la poudre d’or dont je me suis servi était de l’or en paillettes, telles que les orpailleurs les trouvent dans le sable des rivières. Ces paillettes s’ajustent beaucoup mieux les unes contre les autres ; j’ai trouvé environ un dixième de différence entre le poids spécifique de ces paillettes et celui du platine ; néanmoins ces paillettes ne sont pas ordinairement d’or pur, il s’en faut souvent plus de deux ou trois karats, ce qui en doit diminuer en même rapport la pesanteur spécifique ; ainsi tout bien considéré et comparé, nous avons cru qu’on pouvait maintenir le résultat de mes expériences, et assurer que le platine en grains et tel que la nature le produit, est au moins d’un onzième ou d’un douzième moins pesant que l’or. Il y a toute apparence que cette erreur de fait sur la densité du platine, vient de ce qu’on ne l’aura pas pesé dans son état de nature, mais seulement après l’avoir réduit en masse : et comme cette fusion ne peut se faire que par l’addition d’autres matières et à un feu très violent, ce n’est plus du platine pur, mais un composé dans lequel sont entrées des matières fondantes, et duquel le feu enlevé toutes les parties les plus légères.

Ainsi le platine, au lieu d’être d’une densité égale ou presque égale à celle de l’or, comme l’ont avancé les auteurs qui en ont écrit, n’est que d’une densité moyenne entre celle de l’or et celle du fer, et seulement plus voisine de celle de ce premier métal que de celle du dernier. Supposons donc que le pied cube d’or pèse treize cent vingt-six livres, et celui du fer pur cinq cent quatre-vingts livres, celui du platine en grains se trouvera peser environ onze cent quatre-vingt-quatorze livres, ce qui supposerait plus des trois quarts d’or sur un quart de fer dans cet alliage, s’il n’y a pas de pénétration ; mais comme on en tire six septièmes à l’aimant, on pourrait croire que le fer y est en quantité de plus d’un quart, d’autant plus qu’en s’obstinant à cette expérience, je suis persuadé qu’on viendrait