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du Nord, qui sont assez magnétiques pour qu’on les cherche avec la boussole, doivent leur origine à l’élément du feu, tandis que toutes nos mines en grains, qui ne sont point du tout magnétiques, n’ont jamais subi l’action du feu, et n’ont été formées que par le moyen ou l’intermède de l’eau. Je pensai donc que ce sablon ferrugineux et magnétique que je trouvais en petite quantité dans mes mines de fer devait son origine au feu, et ayant examiné le local, je me confirmai dans cette idée. Le terrain où se trouve ce sablon magnétique est en bois ; de temps immémorial, on y a fait très anciennement et on y fait tous les jours des fourneaux de charbon ; il est aussi plus que probable qu’il y a eu dans ces bois des incendies considérables. Le charbon et le bois brûlé, surtout en grande quantité, produisent du mâchefer, et ce mâchefer renferme la partie la plus fixe du fer que contiennent les végétaux ; c’est ce fer fixe qui forme le sablon dont il est question lorsque le mâchefer se décompose par l’action de l’air, du soleil et des pluies, car alors ces particules de fer pur, qui ne sont point sujettes à la rouille ni à aucune autre espèce d’altération, se laissent entraîner par l’eau et pénètrent dans la terre avec elle à quelques pieds de profondeur. On pourra vérifier ce que j’avance ici en faisant broyer du mâchefer bien brûlé ; on y trouvera toujours une petite quantité de ce fer pur, qui, ayant résisté à l’action du feu, résiste également à celle des dissolvants, et ne donne point de prise à la rouille[1].

M’étant satisfait sur ce point, et après avoir comparé le sablon tiré de mes mines de fer et du mâchefer avec celui du platine assez pour ne pouvoir douter de leur identité, je ne fus pas longtemps à penser, vu la pesanteur spécifique du platine, que si ce sablon de fer pur, provenant de la décomposition du mâchefer, au lieu d’être dans une mine de fer, se trouvait dans le voisinage d’une mine d’or, il aurait, en s’unissant à ce dernier métal, formé un alliage qui serait absolument de la même nature que le platine. On sait que l’or et le fer ont un grand degré d’affinité ; on sait que la plupart des mines de fer contiennent une petite quantité d’or ; on sait donner à l’or la teinture, la couleur et même l’aigre du fer en les faisant fondre ensemble ; on emploie cet or couleur de fer sur différents bijoux d’or, pour en varier les couleurs ; et cet or mêlé de fer est plus ou moins gris et plus ou moins aigre, suivant la quantité de fer qui entre dans le mélange. J’en ai vu d’une teinte absolument semblable à la couleur du platine. Ayant demandé à un orfèvre quelle était la proportion de l’or et du fer dans ce mélange qui était de la couleur du platine, il me dit que l’or de 24 karats n’était plus qu’à 18 karats, et qu’il y entrait un quart de fer. On verra que c’est à peu près la proportion qui se trouve dans le platine naturel, si l’on en juge par la pesanteur spécifique. Cet or mêlé de fer est plus dur, plus aigre et spécifiquement moins pesant que l’or pur ; toutes ces convenances, toutes ces qualités communes avec le platine m’ont persuadé que ce prétendu métal n’est dans le vrai qu’un alliage d’or et de fer, et non pas une substance particulière, un métal nouveau, parfait et différent de tous les autres métaux, comme les chimistes l’ont avancé.

On peut d’ailleurs se rappeler que l’alliage aigrit tous les métaux, et que quand il y a

  1. J’ai reconnu, dans le cabinet d’Histoire naturelle, des sablons ferrugineux de même espèce que celui de mes mines, qui m’ont été envoyés de différents endroits et qui sont également magnétiques. On en trouve à Quimper en Bretagne, en Danemark, en Sibérie, à Saint-Dominique, et les ayant tous comparés, j’ai vu que le sablon ferrugineux de Quimper était celui qui ressemblait le plus au mien, et qu’il n’en différait que par un peu plus de pesanteur spécifique. Celui de Saint-Domingue est plus léger, celui de Danemark est moins pur et plus mélangé de terre, et celui de Sibérie est en masse et en morceaux gros comme le pouce, solides, pesants, et que l’aimant soulève à peu près comme si c’était une masse de fer pur. On peut donc présumer que ces sablons magnétiques provenant du mâchefer se trouvent aussi communément que le mâchefer même, mais seulement en bien plus petite quantité. Il est rare qu’on en trouve des amas un peu considérables, et c’est par cette raison qu’ils ont échappé, pour la plupart, aux recherches des minéralogistes.