Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grains. Les plus magnétiques, qui sont en même temps les plus noirs et les plus petits, se réduisent aisément en poudre par un frottement assez léger, et laissent sur le papier blanc la même couleur que le plomb frotté. Sept feuilles de papier dont on s’est servi successivement pour exposer le platine à l’action de l’aimant ont été noircies sur toute l’étendue qu’occupait le platine, les dernières feuilles moins que les premières à mesure qu’il se triait, et que les grains qui restaient étaient moins noirs et moins magnétiques. Les plus gros grains, qui sont les plus colorés et les moins magnétiques, au lieu de se réduire en poussière comme les petits grains noirs, sont au contraire très durs et résistent à toute trituration ; néanmoins ils sont susceptibles d’extension dans un mortier d’agate[1], sous les coups réitérés d’un pilon de même matière, et j’en ai aplati et étendu plusieurs grains certain au double et au triple de l’étendue de leur surface ; cette partie du platine a donc un degré de malléabilité et de ductilité, tandis que la partie noire ne paraît être ni malléable ni ductile. Les grains intermédiaires participent des qualités des deux extrêmes ; ils sont aigres et durs, ils se cassent ou s’étendent plus difficilement sous les coups du pilon, et donnent un peu de poudre noire, mais moins noire que la première.

Ayant recueilli cette poudre noire et les grains les plus magnétiques que l’aimant avait attirés les premiers, j’ai reconnu que le tout était du vrai fer, mais dans un état différent du fer ordinaire. Celui-ci, réduit en poudre et en limaille, se charge de l’humidité et se rouille aisément ; à mesure que la rouille le gagne, il devient moins magnétique et finit absolument par perdre cette qualité magnétique lorsqu’il est entièrement et intimement rouillé : au lieu que cette poudre de fer, ou, si l’on veut, ce sablon ferrugineux qui trouve dans le platine, est au contraire inaccessible à la rouille, quelque longtemps qu’il soit exposé à l’humidité ; il est aussi plus infusible et beaucoup moins dissoluble que le fer ordinaire, mais ce n’en est pas moins du fer, qui ne m’a paru différer du fer connu de que par une plus grande pureté. Ce sablon est en effet du fer absolument dépouillé de toutes les parties combustibles, salines et terreuses qui se trouvent dans le fer ordinaire et même dans l’acier ; il paraît enduit et recouvert d’un vernis vitreux qui le défend de toute altération. Et ce qu’il y a de très remarquable, c’est que ce sablon de fer pur n’appartient pas exclusivement à beaucoup près à la mine de platine ; j’en ai trouvé, quoique toujours en petite quantité, dans plusieurs endroits où l’on a fouillé les mines de fer qui se consomment à mes forges. Comme je suis dans l’usage de soumettre à plusieurs épreuves toutes les mines que je fais exploiter avant de me déterminer à les faire travailler en grand pour l’usage de mes fourneaux, je fus assez surpris de voir que dans quelques-unes de ces mines, qui toutes sont en grains, et dont aucune n’est attirable par l’aimant, il se trouvait néanmoins des particules de fer un peu arrondies et luisantes comme de la limaille de fer, et tout à fait semblables au sablon ferrugineux du platine ; elles sont tout aussi magnétiques, tout aussi peu fusibles, tout aussi difficilement dissolubles. Tel fut le résultat de la comparaison que je fis du sablon du platine et de ce sablon trouvé dans deux de mes mines de fer à trois pieds de profondeur, dans des terrains où l’eau pénètre assez facilement : j’avais peine à concevoir d’où pouvaient provenir ces particules de fer, comment elles avaient pu se défendre de la rouille, depuis des siècles qu’elles sont exposées à l’humidité de la terre, enfin comment ce fer très magnétique pouvait avoir été produit dans des veines de mines qui ne le sont point du tout. J’ai appelé l’expérience à mon secours, et je me suis assez éclairé sur tous ces points pour être satisfait. Je savais, par un grand nombre d’observations, qu’aucune de nos mines de fer en grains n’est attirable par l’aimant ; j’étais bien persuadé, comme je le suis encore, que toutes les mines de fer qui sont magnétiques n’ont acquis cette propriété que par l’action du feu ; que les mines

  1. Je n’ai pas voulu les étendre sur le tas d’acier, dans la crainte de leur communiquer plus de magnétisme qu’ils n’en ont naturellement.