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le double ou le triple du temps pour la pénétrer de chaleur, et cela serait vrai, si dans toutes les substances les parties constituantes étaient de la même figure, et en conséquence toutes arrangées de même. Mais dans les unes comme dans les plus denses, les molécules de la matière sont probablement de figure assez régulière pour ne pas laisser entre elles de très grands espaces vides ; dans d’autres moins denses, leurs figures plus irrégulières laissent de vides plus nombreux et plus grands, et dans les plus légères les molécules étant en petit nombre et probablement de figure très irrégulière, il se trouve mille et mille fois plus de vide que de plein : car on peut démontrer par d’autres expériences que le volume de la substance, même la plus dense, contient encore beaucoup plus d’espace vide que matière pleine.

Or, la principale cause de la fusibilité est la facilité que les particules de la chaleur trouvent à séparer les unes des autres ces molécules de la matière pleine : que la somme des vides soit plus ou moins grande, ce qui fait la densité ou la légèreté, cela est indifférent à la séparation des molécules qui constituent le plein, et la plus ou moins grande fusibilité dépend en entier de la force de cohérence qui tient unies ces parties massives et s’oppose plus ou moins à leur séparation. La dilatation du volume total est le premier degré de l’action de la chaleur, et dans les différents métaux elle se fait dans le même ordre que la fusion de la masse qui s’opère par un plus grand degré de chaleur ou de feu. L’étain, qui de tous se fond le plus promptement, est aussi celui qui se dilate le plus vite, et le fer, qui est de tous le plus difficile à fondre, est de même celui dont la dilatation est la plus lente.

D’après ces notions générales, qui paraissent claires, précises, et fondées sur des expériences que rien peut démentir, on serait porté à croire que la ductilité semble dépendre de la plus ou moins grande adhésion des parties dans chaque métal ; cependant cet ordre de la ductilité des métaux paraît avoir autant de rapport à l’ordre de la densité qu’à celui de leur fusibilité. Je dirais volontiers qu’il est en raison composée des deux autres, mais ce n’est que par estime et par une présomption qui n’est peut-être pas assez fondée ! car il n’est pas aussi facile de déterminer au juste les différents degrés de la fusibilité que ceux de la densité ; et comme la ductilité participe des deux, et qu’elle varie suivant les circonstances, nous n’avons pas encore acquis les connaissances nécessaires pour prononcer affirmativement sur ce sujet, qui est d’une assez grande importance pour mériter des recherches particulières. Le même métal traité à froid ou à chaud donne des résultats tout différents : la malléabilité est le premier indice de la ductilité, mais elle ne nous donne néanmoins qu’une notion assez imparfaite du point auquel la ductilité peut s’étendre. Le plomb, le plus souple, le plus malléable des métaux, ne peut se tirer à la filière en fils aussi fins que l’or, ou même que le fer, qui de tous est le moins malléable. D’ailleurs il faut aider la ductilité des métaux par l’addition du feu, sans quoi ils s’écrouissent et deviennent cassants ; le fer même, quoique le plus robuste de tous, s’écrouit comme les autres. Ainsi, la ductilité d’un métal et l’étendue de continuité qu’il peut supporter dépendent non seulement de sa densité et de sa fusibilité, mais encore de la manière dont on le traite, de la percussion plus lente ou plus prompte, et de l’addition de chaleur ou de feu qu’on lui donne à propos.


II. — Maintenant, si nous comparons les substances qu’on appelle demi-métaux et minéraux métalliques qui manquent de ductilité, nous verrons l’ordre leur densité est émeril, zinc, antimoine, bismuth, et que celui dans lequel ils reçoivent et perdent la chaleur est antimoine, bismuth, zinc, émeril, ce qui ne suit en aucune façon l’ordre de leur densité, mais plutôt celui de leur fusibilité. L’émeril, qui est un minéral ferrugineux, quoique une fois moins dense que le bismuth, conserve la chaleur une fois plus longtemps ;