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nous fournir ; il faut joindre la patience au génie, et souvent cela ne suffit pas encore ; il faut quelquefois renoncer malgré soi au degré de précision que l’on désirerait, parce que cette précision en exigerait une tout aussi grande dans toutes les mains dont on se sert, et demanderait en même temps une parfaite égalité dans toutes les matières que l’on emploie ; aussi tout ce que l’on peut faire en physique expérimentale ne peut pas nous donner des résultats rigoureusement exacts, et ne peut aboutir qu’à des approximations plus ou moins grandes ; et quand l’ordre général de ces approximations ne se dément que par de légères variations, on doit être satisfait.

Au reste, pour tirer de ces nombreuses expériences tout le fruit que l’on doit en attendre, il faut diviser les matières qui en font l’objet en quatre classes ou genres différents.

1o Les métaux ; 2o les demi-métaux et minéraux métalliques ; 3o les substances vitrées et vitrescibles ; 4o les substances calcaires et calcinables ; comparer ensuite les matières de chaque genre entre elles, pour tâcher de reconnaître la cause ou les causes de l’ordre que suit le progrès de la chaleur dans chacune ; et enfin comparer les genres même entre eux, pour essayer d’en déduire quelques résultats généraux.


I. — L’ordre des six métaux, suivant leur densité, est étain, fer, cuivre, argent, étain, plomb, or ; tandis que l’ordre dans lequel ces métaux reçoivent et perdent la chaleur est plomb, argent, or, cuivre, fer, dans lequel il n’y a que l’étain qui conserve sa place.

Le progrès et la durée de la chaleur dans les métaux ne suit donc pas l’ordre de leur densité, si ce n’est pour l’étain qui, étant le moins dense de tous, est en même temps celui qui perd le plus tôt sa chaleur ; mais l’ordre des cinq autres métaux nous démontre que c’est dans le rapport de leur fusibilité que tous reçoivent et perdent la chaleur, car le fer est plus difficile à fondre que le cuivre, le cuivre l’est plus que l’or, l’or plus que l’argent, l’argent plus que le plomb, et le plomb plus que l’étain ; on doit donc en conclure que ce n’est qu’un hasard si la densité et la fusibilité de l’étain se trouvent ici réunies pour le placer au dernier rang.

Cependant ce serait trop s’avancer que de prétendre qu’on doit tout attribuer à la fusibilité et rien du tout à la densité : la nature ne se dépouille jamais d’une de ses propriétés en faveur d’une autre d’une manière absolue, c’est-à-dire de façon que la première n’influe en rien sur la seconde ; ainsi la densité peut bien entrer pour quelque chose dans le progrès de la chaleur, mais au moins nous pouvons prononcer affirmativement que dans les six métaux elle n’y fait que très peu, au lieu que la fusibilité y fait presque le tout.

Cette première vérité n’était connue ni des chimistes ni des physiciens ; on n’aurait pas même imaginé que l’or, qui est plus de deux fois et demie plus dense que le fer, perd néanmoins sa chaleur un demi-tiers plus vite. Il en est du même du plomb, de l’argent et du cuivre, qui tous sont plus denses que le fer, et qui, comme l’or, s’échauffent et se refroidissent plus promptement : car, quoiqu’il ne soit question que du refroidissement dans ce second Mémoire, les expériences du Mémoire qui précède celui-ci démontrent, à n’en pouvoir douter, qu’il en est de l’entrée de la chaleur dans les corps comme de sa sortie, et que ceux qui la reçoivent le plus vite sont en même temps ceux qui la perdent le plus tôt.

Si l’on réfléchit sur les principes réels de la densité et sur la cause de la fusibilité, on sentira que la densité dépend absolument de la quantité de matière que la nature place dans un espace donné, que plus elle peut y en faire entrer, plus il y a de densité, et que l’or est à cet égard la substance qui de toutes contient le plus de matière relativement à son volume. C’est pour cette raison que l’on avait cru jusqu’ici qu’il fallait plus de temps pour échauffer ou refroidir l’or que les autres métaux ; il est en effet assez naturel de penser que, contenant sous le même volume le double ou le triple de matière, il faudrait