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finissent en pointe vers les régions australes : ainsi les eaux sont venues en plus grande quantité du pôle austral que du pôle boréal, d’où elles ne pouvaient que refluer et non pas arriver, du moins avec autant de force ; sans quoi les continents auraient pris une forme toute différente de celle qu’ils nous présentent : ils se seraient élargis vers les plages australes au lieu de se rétrécir. En effet, les contrées du pôle austral ont dû se refroidir plus vite que celles du pôle boréal, et par conséquent recevoir plus tôt les eaux de l’atmosphère, parce que le soleil fait un peu moins de séjour sur cet hémisphère austral que sur le boréal ; et cette cause me paraît suffisante pour avoir déterminé le premier mouvement des eaux et le perpétuer ensuite assez longtemps pour avoir aiguisé les pointes de tous les continents terrestres.

D’ailleurs, il est certain que les deux continents n’étaient pas encore séparés vers notre nord, et que même leur séparation ne s’est faite que longtemps après l’établissement de la nature vivante dans nos climats septentrionaux, puisque les éléphants ont en même temps existé en Sibérie et au Canada ; ce qui prouve invinciblement la continuité de l’Asie ou de l’Europe avec l’Amérique, tandis qu’au contraire il paraît également certain que l’Afrique était dès les premiers temps séparée de l’Amérique méridionale, puisqu’on n’a pas trouvé dans cette partie du nouveau monde un seul des animaux de l’ancien continent, ni aucune dépouille qui puisse indiquer qu’ils y aient autrefois existé. Il paraît que les éléphants dont on trouve les ossements dans l’Amérique septentrionale y sont demeurés confinés, qu’ils n’ont pu franchir les hautes montagnes qui sont au sud de l’isthme de Panama, et qu’ils n’ont jamais pénétré dans les vastes contrées de l’Amérique méridionale : mais il est encore plus certain que les mers qui séparent l’Afrique et l’Amérique existaient avant la naissance des éléphants en Afrique : car si ces deux continents eussent été contigus, les animaux de Guinée se trouveraient au Brésil, et l’on eût trouvé des dépouilles de ces animaux dans l’Amérique méridionale comme l’on en trouve dans les terres de l’Amérique septentrionale.

Ainsi dès l’origine et dans le commencement de la nature vivante, les terres les plus élevées du globe et les parties de notre Nord ont été les premières peuplées par les espèces d’animaux auxquels la grande chaleur convient le mieux : les régions de l’équateur sont demeurées longtemps désertes, et même arides et sans mers. Les terres élevées de la Sibérie, de la Tartarie et de plusieurs autres endroits de l’Asie, toutes celles de l’Europe qui forment la chaîne des montagnes de Galice, des Pyrénées, de l’Auvergne, des Alpes, des Apennins, de Sicile, de la Grèce et de la Macédoine, ainsi que les monts Riphées, Rymniques, etc., ont été les premières contrées habitées, même pendant plusieurs siècles, tandis que toutes les terres moins élevées étaient encore couvertes par les eaux.