Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miers lataniers de plusieurs lieues d’étendue, qui croissent dans des espèces de marais qu’on appelle des savanes noyées, qui ne sont que des appendices de la mer : ces arbres, après avoir vécu leur âge, tombent de vétusté et sont emportés par le mouvement des eaux. Les forêts, plus éloignées de la mer et qui couvrent toutes les hauteurs de l’intérieur du pays, sont moins peuplées d’arbres sains et vigoureux que jonchées d’arbres décrépits et à demi pourris : les voyageurs qui sont obligés de passer la nuit dans ces bois ont soin d’examiner le lieu qu’ils choisissent pour gîte, afin de reconnaître s’il n’est environné que d’arbres solides, et s’ils ne courent pas risque d’être écrasés pendant leur sommeil par la chute de quelque arbre pourri sur pied ; et la chute de ces arbres en grand nombre est très fréquente : un seul coup de vent fait souvent un abatis si considérable qu’on en entend le bruit à de grandes distances. Ces arbres roulant du haut des montagnes en renversent quantité d’autres, et ils arrivent ensemble dans les lieux les plus bas, où ils achèvent de pourrir pour former de nouvelles couches de terre végétale, ou bien ils sont entraînés par les eaux courantes dans les mers voisines, pour aller former au loin de nouvelles couches de charbon fossile.

Les détriments des substances végétales sont donc le premier fond des mines de charbon ; ce sont des trésors que la nature semble avoir accumulés d’avance pour les besoins à venir des grandes populations : plus les hommes se multiplieront, plus les forêts diminueront : le bois ne pouvant plus suffire à leur consommation, ils auront recours à ces immenses dépôts de matières combustibles, dont l’usage leur deviendra d’autant plus nécessaire que le globe se refroidira davantage ; néanmoins ils ne les épuiseront jamais, car une seule de ces mines de charbon contient peut-être plus de matière combustible que toutes les forêts d’une vaste contrée.

L’ardoise, qu’on doit regarder comme une argile durcie, est formée par couches qui contiennent de même du bitume et des végétaux, mais en bien plus petite quantité ; et en même temps elles renferment souvent des coquilles, des crustacés et des poissons qu’on ne peut rapporter à aucune espèce connue ; ainsi l’origine des charbons et des ardoises date du même temps : la seule différence qu’il y ait entre ces deux sortes de matières, c’est que les végétaux composent la majeure partie de la substance des charbons de terre, au lieu que le fond de la substance de l’ardoise est le même que celui de l’argile, et que les végétaux ainsi que les poissons ne paraissent s’y trouver qu’accidentellement et en assez petit nombre ; mais toutes deux contiennent du bitume, et sont formées par feuillets ou par couches très minces toujours parallèles entre elles, ce qui démontre clairement qu’elles ont également été produites par les sédiments successifs d’une eau tranquille, et dont les oscillations étaient parfaitement réglées, telles que sont celles de nos marées ordinaires ou des courants constants des eaux.