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tagnes qui nous paraissent si prodigieuses, tant par le volume que par la hauteur, ces vallées de la mer, qui semblent être des abîmes de profondeur, ne sont dans la réalité que de légères inégalités proportionnées à la grosseur du globe, et qui ne pouvaient manquer de se former lorsqu’il prenait sa consistance : ce sont des effets naturels produits par une cause tout aussi naturelle et fort simple, c’est-à-dire par l’action du refroidissement sur les matières en fusion, lorsqu’elles se consolident à la surface[NdÉ 1].

C’est alors que se sont formés les éléments par le refroidissement et pendant ses progrès. Car à cette époque, et même longtemps après, tant que la chaleur excessive a duré, il s’est fait une séparation et même une projection de toutes les parties volatiles, telles que l’eau, l’air et les autres substances que la grande chaleur chasse au dehors et qui ne peuvent exister que dans une région plus tempérée que ne l’était alors la surface de la terre. Toutes ces matières volatiles s’étendaient donc autour du globe en forme d’atmosphère à une grande distance où la chaleur était moins forte, tandis que les matières fixes, fondues et vitrifiées, s’étant consolidées, formèrent la roche intérieure du globe et le noyau des grandes montagnes, dont les sommets, les masses intérieures et les bases, sont en effet composés de matières vitrescibles. Ainsi le premier établissement local des grandes chaînes de montagnes appartient à cette seconde époque, qui a précédé de plusieurs siècles celle de la formation des montagnes calcaires, lesquelles n’ont existé qu’après l’établissement des eaux, puisque leur composition suppose la production des coquillages et des autres substances que la mer fomente et nourrit[NdÉ 2]. Tant que la surface du globe n’a pas été refroidie au point de permettre à l’eau d’y séjourner sans s’exhaler en vapeurs, toutes nos mers étaient dans l’atmosphère : elles n’ont pu tomber et s’établir sur la terre qu’au moment où sa surface s’est trouvée assez attiédie pour ne plus rejeter l’eau par une trop forte ébullition ; et ce temps de l’établissement des eaux sur la surface du globe n’a précédé que de peu de siècles le moment où l’on aurait pu toucher cette surface sans se brûler ; de sorte qu’en comptant soixante-quinze mille ans depuis la formation de la terre, et la moitié de ce temps pour son refroidissement au point de pouvoir la toucher, il s’est peut-être passé vingt-cinq mille des premières années avant que l’eau, toujours rejetée dans l’atmosphère, ait pu s’établir à demeure sur la surface du globe : car, quoiqu’il y ait une assez grande différence entre le degré auquel l’eau chaude cesse de nous offenser et celui où elle entre en ébullition, et qu’il y ait encore une distance considérable entre ce premier degré d’ébulli-

  1. Nous avons dit déjà que les montagnes ont été produites par des soulèvements lents de certains points de la surface de la terre. [Note de Wikisource : Ajoutons que Buffon commet une grave erreur en pensant que les montagnes primitives sont aujourd’hui les montagnes les plus élevées ; au contraire, par suite de l’érosion, les plus vieilles chaînes de montagnes sont aussi les plus arasées, alors que, les Alpes ou l’Himalaya, que Buffon croyaient primitives, n’ont aujourd’hui pas encore achevé leur soulèvement. Voyez la remarque faite aux notes justificatives.]
  2. Buffon reproduit ici une idée de Linné, confirmée par les observations ultérieures. Linné considérait toutes les roches calcaires comme produites par les animaux ; cette vue, admise par Buffon, est aujourd’hui adoptée par le plus grand nombre des naturalistes. (Voyez mon Introduction.)