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nomiques et physiques soient assez connues pour n’en pouvoir douter, et qui puissent en entendre le langage.

Voyons donc ce qu’était la physique dans les premiers âges du monde, et ce qu’elle serait encore si l’homme n’eût jamais étudié la nature. On voit le ciel comme une voûte d’azur, dans lequel le soleil et la lune paraissent être les astres les plus considérables, dont le premier produit toujours la lumière du jour, et le second fait souvent celle de la nuit ; on les voit paraître ou se lever d’un côté, et disparaître ou se coucher de l’autre, après avoir fourni leur course et donné leur lumière pendant un certain espace de temps. On voit que la mer est de la même couleur que la voûte azurée, et qu’elle paraît toucher au ciel lorsqu’on la regarde au loin. Toutes les idées du peuple sur le système du monde ne portent que sur ces trois ou quatre notions ; et, quelque fausses qu’elles soient, il fallait s’y conformer pour se faire entendre.

En conséquence de ce que la mer paraît dans le lointain se réunir au ciel, il était naturel d’imaginer qu’il existe en effet des eaux supérieures et des eaux inférieures, dont les unes remplissent le ciel et les autres la mer, et que pour soutenir les eaux supérieures il fallait un firmament, c’est-à-dire un appui, une voûte solide et transparente au travers de laquelle on aperçût l’azur des eaux supérieures ; aussi est-il dit : « Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ; et Dieu fit le firmament, et sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament, et Dieu donna au firmament le nom de ciel… et à toutes les eaux rassemblées sous le firmament le nom de mer. »

C’est à ces mêmes idées que se rapportent les cataractes du ciel, c’est-à-dire les portes ou les fenêtres de ce firmament solide qui s’ouvrirent lorsqu’il fallut laisser tomber les eaux supérieures pour noyer la terre. C’est encore d’après ces mêmes idées qu’il est dit que les poissons et les oiseaux ont eu une origine commune. Les poissons auront été produits par les eaux inférieures, et les oiseaux par les eaux supérieures, parce qu’ils s’approchent par leur vol de la voûte azurée, que le vulgaire n’imagine pas être beaucoup plus élevée que les nuages. De même le peuple a toujours cru que les étoiles sont attachées comme des clous à cette voûte solide, qu’elles sont plus petites que la lune, et infiniment plus petites que le soleil ; il ne distingue pas même les planètes des étoiles fixes ; et c’est par cette raison qu’il n’est fait aucune mention des planètes dans tout le récit de la création ; c’est par la même raison que la lune y est regardée comme le second astre, quoique ce ne soit en effet que le plus petit de tous les corps célestes, etc., etc., etc.

Tout dans le récit de Moïse est mis à la portée de l’intelligence du peuple ; tout y est représenté relativement à l’homme vulgaire, auquel il ne s’agissait pas de démontrer le vrai système du monde, mais qu’il suffisait d’instruire de ce qu’il devait au Créateur, en lui montrant les effets de sa toute-puissance comme autant de bienfaits : les vérités de la nature ne devaient