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sinon six espaces de temps, six intervalles de durée ? Et ces espaces de temps indiqués par le nom de jours, faute d’autres expressions, ne peuvent avoir aucun rapport avec nos jours actuels, puisqu’il s’est passé successivement trois de ces jours avant que le soleil ait été placé dans le ciel. Il n’est donc pas possible que ces jours fussent semblables aux nôtres ; et l’interprète de Dieu semble l’indiquer assez en les comptant toujours du soir au matin, au lieu que les jours solaires doivent se compter du matin au soir. Ces six jours n’étaient donc pas des jours solaires semblables aux nôtres, ni même des jours de lumière, puisqu’ils commençaient par le soir et finissaient au matin. Ces jours n’étaient pas même égaux, car ils n’auraient pas été proportionnés à l’ouvrage. Ce ne sont donc que six espaces de temps : l’historien sacré ne détermine pas la durée de chacun, mais le sens de la narration semble la rendre assez longue pour que nous puissions l’étendre autant que l’exigent les vérités physiques que nous avons à démontrer. Pourquoi donc se récrier si fort sur cet emprunt du temps, que nous ne faisons qu’autant que nous y sommes forcés par la connaissance démonstrative des phénomènes de la nature ? Pourquoi vouloir nous refuser ce temps, puisque Dieu nous le donne par sa propre parole, et qu’elle serait contradictoire ou inintelligible si nous n’admettions pas l’existence de ces premiers temps antérieurs à la formation du monde tel qu’il est ?

À la bonne heure que l’on dise, que l’on soutienne, même rigoureusement, que depuis le dernier terme, depuis la fin des ouvrages de Dieu, c’est-à-dire depuis la création de l’homme, il ne s’est écoulé que six ou huit mille ans, parce que les différentes généalogies du genre humain depuis Adam n’en indiquent pas davantage ; nous devons cette foi, cette marque de soumission et de respect à la plus ancienne, à la plus sacrée de toutes les traditions ; nous lui devons même plus, c’est de ne jamais nous permettre de nous écarter de la lettre de cette sainte tradition que quand la lettre tue, c’est-à-dire quand elle paraît directement opposée à la saine raison et à la vérité des faits de la nature : car toute raison, toute vérité venant également de Dieu, il n’y a de différence entre les vérités qu’il nous a révélées et celles qu’il nous a permis de découvrir par nos observations et nos recherches ; il n’y a, dis-je, d’autre différence que celle d’une première faveur faite gratuitement à une seconde grâce qu’il a voulu différer et nous faire mériter par nos travaux ; et c’est par cette raison que son interprète n’a parlé aux premiers hommes, encore très ignorants, que dans le sens vulgaire, et qu’il ne s’est pas élevé au-dessus de leurs connaissances qui, bien loin d’atteindre au vrai système du monde, ne s’étendaient pas même au delà des notions communes, fondées sur le simple rapport des sens ; parce qu’en effet c’était au peuple qu’il fallait parler, et que la parole eût été vaine et inintelligible si elle eût été telle qu’on pourrait la prononcer aujourd’hui, puisque aujourd’hui même il n’y a qu’un petit nombre d’hommes auxquels les vérités astro-