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nous force à reconnaître : le premier, entre la création de la matière en général et la production de la lumière ; le second, entre cette production de la lumière et sa séparation d’avec les ténèbres. Ainsi, loin de manquer à Dieu en donnant à la matière plus d’ancienneté qu’au monde tel qu’il est, c’est au contraire le respecter autant qu’il est en nous, en conformant notre intelligence à sa parole. En effet, la lumière qui éclaire nos âmes ne vient-elle pas de Dieu ? les vérités qu’elle nous présente peuvent-elles être contradictoires avec celles qu’il nous a révélées ? Il faut se souvenir que son inspiration divine a passé par les organes de l’homme ; que sa parole nous a été transmise dans une langue pauvre, dénuée d’expressions précises pour les idées abstraites, en sorte que l’interprète de cette parole divine a été obligé d’employer souvent des mots dont les acceptions ne sont déterminées que par les circonstances ; par exemple, le mot créer et le mot former ou faire sont employés indistinctement pour signifier la même chose ou des choses semblables, tandis que dans nos langues ces deux mots ont chacun un sens très différent et très déterminé : créer est tirer une substance du néant ; former ou faire, c’est la tirer de quelque chose sous une forme nouvelle ; et il paraît que le mot créer[1] appartient de préférence, et peut-être uniquement, au premier verset de la Genèse, dont la traduction précise en notre langue doit être : Au commencement Dieu tira du néant la matière du ciel et de la terre ; et ce qui prouve que ce mot créer ou tirer du néant ne doit s’appliquer qu’à ces premières paroles, c’est que toute la matière du ciel et de la terre ayant été créée ou tirée du néant dès le commencement, il n’est plus possible, et par conséquent plus permis de supposer de nouvelles créations de matière, puisque alors toute matière n’aurait pas été créée dès le commencement. Par conséquent l’ouvrage des six jours ne peut s’entendre que comme une formation, une production de formes tirées de la matière créée précédemment, et non pas comme d’autres créations de matières nouvelles tirées immédiatement du néant ; et en effet, lorsqu’il est question de la lumière, qui est la première de ces formations ou productions tirées du sein de la matière, il est dit seulement que la lumière soit faite, et non pas, que la lumière soit créée. Tout concourt donc à prouver que la matière ayant été créée in principio, ce ne fut que dans des temps subséquents qu’il plut au souverain Être de lui donner la forme, et qu’au lieu de tout créer et de tout former dans le même instant, comme il l’aurait pu faire s’il eût voulu déployer toute l’étendue de sa toute-puissance, il n’a voulu, au contraire, qu’agir avec le temps, produire successivement et mettre même des repos, des intervalles considérables entre chacun de ses ouvrages. Que pouvons-nous entendre par les six jours que l’écrivain sacré nous désigne si précisément en les comptant les uns après les autres,

  1. Le mot בּרא, bara, que l’on traduit ici par créer, se traduit, dans tous les autres passages de l’Écriture, par former ou faire.