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Voilà donc l’ordre des temps indiqué par les faits et par les monuments ; voilà six époques dans la succession des premiers âges de la nature ; six espaces de durée dont les limites, quoique indéterminées, n’en sont pas moins réelles : car ces époques ne sont pas, comme celles de l’histoire civile, marquées par des points fixes, ou limitées par des siècles et d’autres portions du temps que nous puissions compter et mesurer exactement ; néanmoins nous pouvons les comparer entre elles, en évaluer la durée relative, et rappeler à chacune de ces périodes de durée d’autres monuments et d’autres faits qui nous indiqueront des dates contemporaines, et peut-être aussi quelques époques intermédiaires et subséquentes.

Mais avant d’aller plus loin, hâtons-nous de prévenir une objection grave qui pourrait même dégénérer en imputation. Comment accordez-vous, dira-t-on, cette haute ancienneté que vous donnez à la matière, avec les traditions sacrées, qui ne donnent au monde que six ou huit mille ans ? Quelque fortes que soient vos preuves, quelque fondés que soient vos raisonnements, quelque évidents que soient vos faits, ceux qui sont rapportés dans le livre sacré ne sont-ils pas encore plus certains ? Les contredire, n’est-ce pas manquer à Dieu, qui a eu la bonté de nous les révéler ?

Je suis affligé toutes les fois qu’on abuse de ce grand, de ce saint nom de Dieu ; je suis blessé toutes les fois que l’homme le profane, et qu’il prostitue l’idée du premier Être, en la substituant à celle du fantôme de ses opinions. Plus j’ai pénétré dans le sein de la nature, plus j’ai admiré et profondément respecté son auteur ; mais un respect aveugle serait superstition : la vraie religion suppose au contraire un respect éclairé. Voyons donc ; tâchons d’entendre sainement les premiers faits que l’interprète divin nous a transmis au sujet de la création ; recueillons avec soin ces rayons échappés de la lumière céleste : loin d’offusquer la vérité, ils ne peuvent qu’y ajouter un nouveau degré d’éclat et de splendeur.


« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. »

Cela ne veut pas dire qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu’ils sont, puisqu’il est dit immédiatement après, que la terre était informe, et que le soleil, la lune et les étoiles ne furent placés dans le ciel qu’au quatrième jour de la création. On rendrait donc le texte contradictoire à lui-même, si l’on voulait soutenir qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu’ils sont. Ce fut dans un temps subséquent qu’il les rendit en effet tels qu’ils sont, en donnant la forme à la matière, et en plaçant le soleil, la lune et les étoiles dans le ciel. Ainsi pour entendre sainement ces premières paroles, il faut nécessairement suppléer un mot qui concilie le tout, et lire : Au commencement Dieu créa la matière du ciel et de la terre.

Et ce commencement, ce premier temps le plus ancien de tous, pendant