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donner celle de 45 degrés ; ce qui ramènerait le 60e degré de latitude au 15e, c’est-à-dire les terres de la Sibérie, où les éléphants ont autrefois existé, aux terres de l’Inde, où ils vivent aujourd’hui. Or, il ne s’agit, dira-t-on, que d’admettre dans le passé cette longue période de temps pour rendre raison du séjour des éléphants en Sibérie : il y a trois cent soixante mille ans que la terre tournait sur un axe éloigné de 45 degrés de celui sur lequel elle tourne aujourd’hui ; le 15e degré de latitude actuelle était alors le 60e, etc.

À cela je réponds que cette idée et le moyen d’explication qui en résulte ne peuvent pas se soutenir lorsqu’on vient à les examiner : le changement de l’obliquité de l’écliptique n’est pas une diminution ou une augmentation successive et constante ; ce n’est au contraire qu’une variation limitée, et qui se fait tantôt en un sens et tantôt en un autre, laquelle par conséquent n’a jamais pu produire en aucun sens ni pour aucun climat cette différence de 45 degrés d’inclinaison[NdÉ 1] : car la variation de l’obliquité de l’axe de la terre est causée par l’action des planètes qui déplacent l’écliptique sans affecter l’équateur. En prenant la plus puissante de ces attractions, qui est celle de Vénus, il faudrait douze cent soixante mille ans pour qu’elle pût faire changer de 180 degrés la situation de l’écliptique sur l’orbite de Vénus, et par conséquent produire un changement de 6 degrés 47 minutes dans l’obliquité réelle de l’axe de la terre, puisque 6 degrés 47 minutes sont le double de l’inclinaison de l’orbite de Vénus. De même l’action de Jupiter ne peut, dans un espace de neuf cent trente-six mille ans, changer l’obliquité de l’écliptique que de 2 degrés 38 minutes, et encore cet effet est-il en partie compensé par le précédent : en sorte qu’il n’est pas possible que ce changement de l’obliquité de l’axe de la terre aille jamais à 6 degrés ; à moins de supposer que toutes les orbites des planètes changeront elles-mêmes ; supposition que nous ne pouvons ni ne devons admettre, puisqu’il n’y a aucune cause qui puisse produire cet effet. Et comme on ne peut juger du passé que par l’inspection du présent et par la vue de l’avenir, il n’est pas possible, quelque loin qu’on veuille reculer les limites du temps, de supposer que la variation de l’écliptique ait jamais pu produire une différence de plus de 6 degrés dans les climats de la terre : ainsi cette cause est tout à fait insuffisante, et l’explication qu’on voudrait en tirer doit être rejetée.

Mais je puis donner cette explication si difficile, et la déduire d’une cause immédiate. Nous venons de voir que le globe terrestre, lorsqu’il a pris sa forme, était dans un état de fluidité ; et il est démontré que, l’eau n’ayant pu produire la dissolution des matières terrestres, cette fluidité était une

  1. Cette manière de voir est aujourd’hui admise par tous les astronomes. Tous admettent, d’après les démonstrations de Lagrange, de Laplace, etc., que les variations de l’obliquité de l’écliptique sont comprises dans des limites très étroites et que, par suite, elles ont toujours été et sont incapables de produire un changement sensible dans la situation des pôles par rapport au soleil. [Note de Wikisource : Si restreintes soient ces variations, leur cumul avec les variations d’autres paramètres cosmiques (paramètres dits « de Milanković » : obliquité, précession et excentricité) a eu une influence certaine aux hautes latitudes sur les cycles glaciaires des derniers 2,6 millions d’années.]