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nous : cette réunion, dans un seul homme, de l’expérience de plusieurs siècles, recule à l’infini les limites de son être ; ce n’est plus un individu simple, borné, comme les autres, aux sensations de l’instant présent, aux expériences du jour actuel ; c’est à peu près l’être que nous avons mis à la place de l’espèce entière ; il lit dans le passé, voit le présent, juge de l’avenir ; et dans le torrent des temps qui amène, entraîne, absorbe tous les individus de l’univers, il trouve les espèces constantes, la nature invariable : la relation des choses étant toujours la même, l’ordre des temps lui paraît nul ; les lois du renouvellement ne font que compenser à ses yeux celles de la permanence ; une succession continuelle d’êtres, tous semblables entre eux, n’équivaut, en effet, qu’à l’existence perpétuelle d’un seul de ces êtres.

À quoi se rapporte donc ce grand appareil des générations, cette immense profusion de germes dont il en avorte mille et mille pour un qui réussit ? Qu’est-ce que cette propagation, cette multiplication des êtres, qui, se détruisant et se renouvelant sans cesse, n’offrent toujours que la même scène, et ne remplissent ni plus ni moins la nature ? D’où viennent ces alternatives de mort et de vie, ces lois d’accroissement et de dépérissement, toutes ces vicissitudes individuelles, toutes ces représentations renouvelées d’une seule et même chose ? elles tiennent à l’essence même de la nature, et dépendent du premier établissement de la machine du monde : fixe dans son tout et mobile dans chacune de ses parties, les mouvements généraux des corps célestes ont produit les mouvements particuliers du globe de la terre ; les forces pénétrantes dont ces grands corps sont animés, par lesquels ils agissent au loin et réciproquement les uns sur les autres, animent aussi chaque atome de matière, et cette propension mutuelle de toutes ces parties les unes consistance vers les autres est le premier lien des êtres, le principe de la consistance des choses, et le soutien de l’harmonie de l’univers[NdÉ 1]. Les grandes combinaisons ont produit tous les petits rapports ; le mouvement de la terre sur son axe ayant partagé en jours et en nuits les espaces de la durée, tous les êtres vivants qui habitent la terre ont leur temps de lumière et leur temps de ténèbres, la veille et le sommeil : une grande portion de l’économie animale, celle de l’action des sens et du mouvement des membres, est relative à cette première combinaison. Y aurait-il des sens ouverts à la lumière dans un monde où la nuit serait perpétuelle ?

L’inclinaison de l’axe de la terre produisant, dans son mouvement annuel autour du soleil, des alternatives durables de chaleur et de froid, que nous avons appelées des saisons, tous les êtres végétants ont aussi, en tout ou en partie, leur saison de vie et leur saison de mort. La chute des feuilles et des fruits, le dessèchement des herbes, la mort des insectes, dépendent en entier de cette seconde combinaison : dans les climats où elle n’a pas lieu, la vie

  1. Cette pensée est très juste.