Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

soumise, reconnue, traversée d’un hémisphère à l’autre ; la terre accessible partout, partout rendue aussi vivante que féconde ; dans les vallées de riantes prairies, dans les plaines de riches pâturages, ou des moissons encore plus riches ; les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d’arbres utiles et de jeunes forêts ; les déserts devenus des cités habitées par un peuple immense, qui, circulant sans cesse, se répand de ces centres jusqu’aux extrémités ; des routes ouvertes et fréquentées, des communications établies partout comme autant de témoins de la force et de l’union de la société : mille autres monuments de puissance et de gloire démontrent assez que l’homme, maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l’empire avec la nature.

Cependant il ne règne que par droit de conquête ; il jouit plutôt qu’il ne possède, il ne conserve que par ses soins toujours renouvelés ; s’ils cessent, tout languit, tout s’altère, tout change, tout rentre sous la main de la nature ; elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l’homme, couvre de poussière et de mousse ses plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d’avoir perdu par sa faute ce que ses ancêtres avaient conquis par leurs travaux. Ces temps où l’homme perd son domaine, ces siècles de barbarie pendant lesquels tout périt, sont toujours préparés par la guerre, et arrivent avec la disette et la dépopulation. L’homme, qui ne peut que par le nombre, qui n’est fort que par sa réunion, qui n’est heureux que par la Paix, a la fureur de s’armer pour son malheur et de combattre pour sa ruine : excité par l’insatiable avidité, aveuglé par l’ambition encore plus insatable, il renonce aux sentiments d’humanité, tourne toutes ses forces contre lui-même, cherche à s’entre-détruire, se détruit en effet ; et après ces jours de sang et de carnage, lorsque la fumée de la gloire s’est dissipée, il voit d’un œil triste la terre dévastée, les arts ensevelis, les nations dispersées, les peuples affaiblis, son propre bonheur ruiné, et sa puissance réelle anéantie.

« Grand Dieu ! dont la seule présence soutient la nature et maintient l’harmonie des lois de l’univers ; vous qui, du trône immobile de l’empyrée voyez rouler sous vos pieds toutes les sphères célestes sans choc et sans confusion ; qui, du sein du repos, reproduisez à chaque instant leurs mouvements immenses, et seul régissez dans une paix profonde ce nombre infini de cieux et de mondes, rendez, rendez enfin le calme à la terre agitée ! qu’elle soit dans le silence ! qu’à votre voix la discorde et la guerre cessent de faire retentir leurs clameurs orgueilleuses ! Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création ; mais l’homme est votre être de choix, vous avez éclairé son âme d’un rayon de votre lumière immortelle ; comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d’un trait de votre amour : ce sentiment divin se répandant partout réunira les natures ennemies ; l’homme ne craindra plus l’as-