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ils disent que cette grande terre est montagneuse et toute couverte de forêts ; ils placent cette grande terre au nord de leur île, et nomment l’embouchure d’un grand fleuve Alaghschak, qui s’y trouve… D’autre part, l’on ne saurait douter que Behring, aussi bien que Tschirikow, n’aient effectivement touché à ce grand continent, puisqu’au cap Élie, où sa frégate mouilla, l’on vit des bords de la mer le terrain s’élever en montagne continue et toute revêtue d’épaisses forêts ; le terrain y était d’une nature toute différente de celui du Kamtschatka ; nombre de plantes américaines y furent recueillies par Steller. »

M. de Domascheneff observe de plus que toutes les îles aux Renards, ainsi que les îles Aleutes et celles de Behring, sont montagneuses, que leurs côtes sont pour la plupart hérissées de rochers, coupées par des précipices et environnées d’écueils jusqu’à une assez grande distance ; que le terrain s’élève depuis les côtes jusqu’au milieu de ces îles en montagnes fort raides, qui forment de petites chaînes dans le sens de la longueur de chaque île : au reste, il y a eu et il y a encore des volcans dans plusieurs de ces îles, et celles où ces volcans sont éteints ont des sources d’eau chaude. On ne trouve point de métaux dans ces îles à volcans, mais seulement des calcédoines et quelques autres pierres colorées de peu de valeur. On n’a d’autre bois dans ces îles que les tiges ou branches d’arbres flottées par la mer, et qui n’y arrivent pas en grande quantité ; il s’en trouve plus sur l’île Behring et sur les Aleutes : il parait que ces bois flottés viennent pour la plupart des plages méridionales, car on y a observé le bois de camphre du Japon.

Les habitants de ces îles sont assez nombreux, mais comme ils mènent une vie errante, se transportant d’une île à l’autre, il n’est pas possible de fixer leur nombre. On a généralement observé que plus les îles sont grandes, plus elles sont voisines de l’Amérique, et plus elles sont peuplées. Il paraît aussi que tous les insulaires des îles aux Renards sont d’une même nation, à laquelle les habitants des Aleutes et des îles d’Andrien peuvent aussi se rapporter, quoiqu’ils en diffèrent par quelques coutumes. Tout ce peuple a une très grande ressemblance, par les mœurs, la façon de vivre et de se nourrir, avec les Esquimaux et les Groënlandais. Le nom de Kanaghist, dont ces insulaires s’appellent dans leur langue, peut-être corrompu par les marins, est encore très ressemblant à celui de Karalit, dont les Esquimaux et leurs frères les Groënlandais se nomment. On n’a trouvé aux habitants de toutes ces îles, entre l’Asie et l’Amérique, d’autres outils que des haches de pierre, des cailloux taillés en scalpel et des omoplates d’animaux aiguisés pour couper l’herbe : ils ont aussi des dards qu’ils lancent de la main à l’aide d’une palette, et desquels la pointe est armée d’un caillou pointu et artistement taillé ; aujourd’hui ils ont beaucoup de ferrailles volées ou enlevées aux Russes. Ils font des canots et des espèces de pirogues comme les Esquimaux : il y en a d’assez grandes pour contenir vingt personnes ; la charpente en est de bois léger, recouvert partout de peaux de phoques et d’autres animaux marins.

Il paraît, par tous ces faits, que de temps immémorial les Tschutschis qui habitent la pointe la plus orientale de l’Asie, entre le 55e et le 70e degré, ont eu commerce avec les Américains, et que ce commerce était d’autant plus facile pour ces peuples accoutumés à la rigueur du froid, que l’on peut faire le voyage, qui n’est peut-être pas de cent lieues, en se reposant tous les jours d’îles en îles, et dans de simples canots conduits à la rame en été, et peut-être sur la glace en hiver. L’Amérique a donc pu être peuplée par l’Asie sous ce parallèle ; et tout semble indiquer que, quoiqu’il y ait aujourd’hui des interruptions de mer entre les terres de ces îles, elles ne faisaient autrefois qu’un même continent, par lequel l’Amérique était jointe à l’Asie : cela semble indiquer aussi qu’au delà de ces îles Anadir ou Andrien, c’est-à-dire entre le 70e et le 75e degré, les deux continents sont absolument réunis par un terrain où il ne se trouve plus de mer, mais qui est peut-être entièrement couvert de glace. La reconnaissance de ces plages au delà du