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ville, il fut lui-même sur les lieux pour s’informer du fait. Il apprit que le curé du lieu ayant fait creuser dans son jardin, on avait trouvé un sépulcre qui renfermait un corps de 17 pieds 2 pouces de long qui n’avait plus de peau. Ce cadavre avait d’autres corps entre ses bras et ses jambes, qui pouvaient être ses enfants. On trouva dans le même lieu quatorze ou quinze autres sépulcres, les uns de 10 pieds, les autres de 12 et d’autres même de 15 pieds, qui renfermaient des corps de même longueur. Le sépulcre de ce géant resta exposé à l’air pendant plus d’un an ; mais comme cela attirait trop de visites au curé, il l’a fait recouvrir de terre et planter trois arbre sur la place. Ces sépulcres sont d’une pierre semblable à la craie.

Thomas Molineux a vu, aux écoles de médecine de Leyde, un os frontal humain prodigieux ; sa hauteur, prise depuis sa jonction aux os du nez jusqu’à la suture sagittale, était de 9 1/12 pouces, sa largeur de 9 2/10 pouces, son épaisseur d’un demi-pouce, c’est-à-dire que chacune de ces dimensions était double de la dimension correspondante à l’os frontal, tel qu’il est dans les hommes de taille ordinaire ; en sorte que l’homme à qui cet os gigantesque a appartenu était probablement une fois plus grand que les hommes ordinaires, c’est-à-dire qu’il avait 11 pieds de haut. Cet os était très certainement un os frontal humain ; et il ne paraît pas qu’il eût acquis ce volume par un vice morbifique ; car son épaisseur était proportionnée à ses autres dimensions, ce qui n’a pas lieu dans les os viciés[1].

Dans le cabinet de M. Witreu à Amsterdam, M. Klein dit avoir vu un os frontal, d’après lequel il lui parut que l’homme auquel il avait appartenu avait 13 pieds 4 pouces de hauteur, c’est-à-dire environ 12 1/2 pieds de France[2].

D’après tous les faits que je viens d’exposer, et ceux que j’ai discutés ci-devant au sujet des Patagons, je laisse à mes lecteurs le même embarras où je suis pour pouvoir prononcer sur l’existence réelle de ces géants de 24 pieds : je ne puis me persuader qu’en aucun temps et par aucun moyen, aucune circonstance, le corps humain ait pu s’élever à des dimensions aussi démesurées ; mais je crois en même temps qu’on ne peut guère douter qu’il n’y ait eu des géants de 10, 12 et peut-être de 15 pieds de hauteur ; et qu’il est presque certain que dans les premiers âges de la nature vivante, il a existé non seulement des individus gigantesques en grand nombre, mais même quelques races constantes et successives de géants, dont celle des Patagons est la seule qui se soit conservée[NdÉ 1].


(31) Page 117, ligne 16. On trouve au-dessus des Alpes une étendue immense et presque continue de vallées, de plaines et de montagnes de glace, etc.[NdÉ 2]. Voici ce que M. Grouner et quelques autres bons observateurs et témoins oculaires rapportent à ce sujet.

Dans les plus hautes régions des Alpes, les eaux provenant annuellement de la fonte

  1. Transactions philosophiques, no 168, art. 2.
  2. Idem, no 456, art. 3.
  1. Les Patagons n’ont pas une taille supérieure à la moyenne de l’humanité.
  2. Buffon n’avait pas saisi la grande importance du rôle joué par la glace dans les phénomènes dont la surface de la terre a été le théâtre. C’est seulement à une époque récente que ce problème a été sérieusement étudié. On sait aujourd’hui que certains points de notre globe, actuellement dépourvus de glaciers, ont été jadis entièrement envahis par des glaces d’une grande épaisseur. Il faut avoir soin de ne confondre les glaciers ni avec les neiges qui recouvrent les sommets des montagnes d’un manteau pour ainsi dire éternel, ni avec les glaces flottantes des mers polaires. Les glaciers peuvent être définis des ruisseaux, des rivières et des lacs en grande partie congelés. Ils sont formés par l’eau provenant de la fusion des neiges qui recouvrent les hauts sommets, eau qui s’écoule dans les ravins, les vallons et les vallées des montagnes, se congèle et se durcit sous l’influence de la pression des neiges qui tombent sur sa surface et finit par former de gigantesques fleuves