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(19) Page 49, ligne 7. Les plus hautes montagnes sont dans la zone torride, les plus basses dans les zones froides ; et l’on ne peut douter que, dès l’origine, les parties voisines de l’équateur ne fussent les plus irrégulières et les moins solides du globe. J’ai dit, volume Ier, page 49 de la Théorie de la terre, « que les montagnes du Nord ne sont que des collines en comparaison de celles des pays méridionaux, et que le mouvement général des mers avait produit ces plus grandes montagnes dans la direction d’orient en occident dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau. » Lorsque j’ai composé, en 1744, ce Traité de la Théorie de la terre, je n’étais pas aussi instruit que je le suis actuellement, et l’on n’avait pas fait les observations par lesquelles on a reconnu que les sommets des plus hautes montagnes sont composés de granit et de rocs vitrescibles, et qu’on ne trouve pas de coquilles sur plusieurs de ces sommets : cela prouve que ces montagnes n’ont pas été composées par les eaux, mais produites par le feu primitif, et qu’elles sont aussi anciennes que le temps de la consolidation du globe. Toutes les pointes et les noyaux de ces montagnes étant composés de matières vitrescibles, semblables à la roche intérieure du globe, elles sont également l’ouvrage du feu primitif, lequel a le premier établi ces masses de montagnes, et formé les grandes inégalités de la surface de la terre[NdÉ 1]. L’eau n’a travaillé qu’en second, postérieurement au feu, et n’a pu agir qu’à la hauteur où elle s’est trouvée après la chute entière des eaux de l’atmosphère et l’établissement de la mer universelle[NdÉ 2], laquelle a déposé successivement les coquillages qu’elle nourrissait et les autres matières qu’elle délayait ; ce qui a formé les couches d’argiles et de matières calcaires qui composent nos collines, et qui enveloppent les montagnes vitrescibles jusqu’à une grande hauteur.

Au reste, lorsque j’ai dit que les montagnes du Nord ne sont que des collines en comparaison des montagnes du Midi, cela n’est vrai que pris généralement ; car il y a dans le nord de l’Asie de grandes portions de terre qui paraissent fort élevées au-dessus du niveau de la mer ; et en Europe, les Pyrénées, les Alpes, le mont Carpate, les montagnes de Norvège, les monts Riphées et Rymniques, sont de hautes montagnes ; et toute la partie méridionale de la Sibérie, quoique composée de vastes plaines et de montagnes médiocres, paraît être encore plus élevée que le sommet des monts Riphées ; mais ce sont peut-être les seules exceptions qu’il y ait à faire ici : car non seulement les plus hautes montagnes se trouvent dans les climats plus voisins de l’équateur que des pôles, mais il paraît que c’est dans les climats méridionaux où se sont faits les plus grands bouleversements intérieurs et extérieurs, tant par la force centrifuge, dans le premier temps de la consolidation, que par l’action plus fréquente des feux souterrains et le mouvement plus violent du flux et du reflux, dans les temps subséquents. Les tremblements de terre sont si fréquents dans l’Inde méridionale que les naturels du pays ne donnent pas d’autre

  1. Nous avons dit que, d’après Lyell et quelques autres géologues, il ne se trouverait plus à la surface de notre globe aucune trace des roches primitives, ces dernières ayant été déjà plusieurs fois peut-être remaniées et transformées par l’eau et par le feu.
  2. Buffon suppose, dans ses Époques de la nature, que toutes les montagnes ont été produites au moment même de la solidification de la croûte terrestre et qu’elles ont d’abord été plus ou moins recouvertes par les eaux. Nous avons déjà relevé plusieurs fois cette erreur et indiqué que les chaînes de montagnes actuelles se sont soulevées à des époques différentes, et quelques-unes même, comme les Alpes et les Pyrénées, à des périodes relativement récentes de l’histoire du globe. La plupart de ces montagnes présentent des fossiles jusque sur leurs sommets et ont dû, par conséquent, se trouver sous l’eau avant d’être soulevées. « La hauteur, dit Lyell, à laquelle on a pu, dans les Alpes, les Andes et l’Himalaya, suivre la présence des Ammonites, des coquilles et des coraux, suffit à démontrer que les matériaux de toutes ces chaînes ont été élaborés sous l’eau et quelques-uns dans des mers d’une certaine profondeur. »