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plantes potagères, une seule espèce de chicorée et deux sortes de laitues, toutes deux assez mauvaises, tandis qu’aujourd’hui nous pouvons compter plus de cinquante laitues et chicorées, toutes très bonnes au goût. Nous pouvons de même donner la date très moderne de nos meilleurs fruits à pépins et à noyaux, tous différents de ceux des anciens auxquels ils ne ressemblent que de nom : d’ordinaire les choses restent et les noms changent avec le temps ; ici c’est le contraire, les noms sont demeurés et les choses ont changé ; nos pêches, nos abricots, nos poires sont des productions nouvelles auxquelles on a conservé les vieux noms des productions antérieures. Pour n’en pas douter, il ne faut que comparer nos fleurs et nos fruits avec les descriptions ou plutôt les notices que les auteurs grecs et latins nous en ont laissées ; toutes leurs fleurs étaient simples et tous leurs arbres fruitiers n’étaient que des sauvageons assez mal choisis dans chaque genre, dont les petits fruits âpres ou secs, n’avaient ni la saveur ni beauté des nôtres.

Ce n’est pas qu’il y ait aucune de ces bonnes et nouvelles espèces qui ne soit originairement issue d’un sauvageon ; mais combien de fois n’a-t-il pas fallu que l’homme ait tenté la nature pour en obtenir ces espèces excellentes ? combien de milliers de germes n’a-t-il pas été obligé de confier à la terre pour qu’elle les ait enfin produits ? Ce n’est qu’en semant, élevant, cultivant et mettant à fruit un nombre presque infini de végétaux de la même espèce, qu’il a pu reconnaître quelques individus portant des fruits plus doux et meilleurs que les autres ; et cette première découverte, qui suppose déjà tant de soins, serait encore demeurée stérile à jamais s’il n’en eût fait une seconde qui suppose autant de génie que la première exigeait de patience ; c’est d’avoir trouvé le moyen de multiplier par la greffe ces individus précieux, qui malheureusement ne peuvent faire une lignée aussi noble qu’eux ni propager par eux-mêmes leurs excellentes qualités ; et cela seul prouve que ce ne sont en effet que des qualités purement individuelles et non des propriétés spécifiques : car les pépins ou noyaux de ces excellents fruits ne produisent, comme les autres, que de simples sauvageons, et par conséquent ils ne forment pas des espèces qui en soient essentiellement différentes ; mais, au moyen de la greffe, l’homme a pour ainsi dire créé des espèces secondaires qu’il peut propager et multiplier à son gré : le bouton ou la petite branche qu’il joint au sauvageon renferme cette qualité individuelle qui ne peut se transmettre par la graine, et qui n’a besoin que de se développer pour produire les mêmes fruits que l’individu dont on les a séparés pour les unir au sauvageon, lequel ne leur communique aucune de ses mauvaises qualités, parce qu’il n’a pas contribué à leur formation, qu’il n’est pas une mère, mais une simple nourrice qui ne sert qu’à leur développement par la nutrition.

Dans les animaux, la plupart des qualités qui paraissent individuelles ne