Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



ŒUVRES COMPLÈTES
DE BUFFON



DES ÉPOQUES DE LA NATURE



Comme dans l’histoire civile, on consulte les titres, on recherche les médailles, on déchiffre les inscriptions antiques pour déterminer les époques des révolutions humaines, et constater les dates des événements moraux ; de même, dans l’histoire naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des entrailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les indices des changements physiques qui peuvent nous faire remonter aux différents âges de la nature. C’est le seul moyen de fixer quelques points dans l’immensité de l’espace et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance ; notre vue y décroît, et s’y perdrait de même, si l’histoire et la chronologie n’eussent placé des fanaux, des flambeaux aux points les plus obscurs ; mais, malgré ces lumières de la tradition écrite, si l’on remonte à quelques siècles, que d’incertitudes dans les faits ! que d’erreurs sur les causes des événements ! et quelle obscurité profonde n’environne pas les temps antérieurs à cette tradition ! D’ailleurs elle ne nous a transmis que les gestes de quelques nations, c’est-à-dire les actes d’une très petite partie du genre humain ; tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous, nul pour la postérité : ils ne sont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne laissent point de traces ; et plût au ciel que le nom de tous ces prétendus héros, dont on a célébré les crimes ou la gloire sanguinaire, fût également enseveli dans la nuit de l’oubli !

Ainsi l’histoire civile, bornée d’un côté par les ténèbres d’un temps assez