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tous les ans la rivière de Seine était ordinairement glacée pendant une partie de l’hiver : ces faits ne paraissent-ils pas être directement opposés au prétendu refroidissement successif du globe ? Ils le seraient, je l’avoue, si la France et l’Allemagne d’aujourd’hui étaient semblables à la Gaule et à la Germanie ; si l’on n’eût pas abattu les forêts, desséché les marais, contenu les torrents, dirigé les fleuves et défriché toutes les terres trop couvertes et surchargées des débris même de leurs productions. Mais ne doit-on pas considérer que la déperdition de la chaleur du globe se fait d’une manière insensible ; qu’il a fallu soixante-seize mille ans pour l’attiédir au point de la température actuelle, et que dans soixante-seize autres mille ans il ne sera pas encore assez refroidi pour que la chaleur particulière de la nature vivante y soit anéantie[NdÉ 1] ; ne faut-il pas comparer ensuite à ce refroidissement si lent, le froid prompt et subit qui nous arrive des régions de l’air ; se rappeler qu’il n’y a néanmoins qu’un trente-deuxième de différence entre le plus grand chaud de nos étés et le plus grand froid de nos hivers ; et l’on sentira déjà que les causes extérieures influent beaucoup plus que la cause intérieure sur la température de chaque climat, et que dans tous ceux où le froid de la région supérieure de l’air est attiré par l’humidité ou poussé par des vents qui le rabattent vers la surface de la terre, les effets de ces causes particulières l’emportent de beaucoup sur le produit de la cause générale. Nous pouvons en donner un exemple qui ne laissera aucun doute sur ce sujet, et qui prévient en même temps toute objection de cette espèce.

Dans l’immense étendue des terres de la Guiane, qui ne sont que des forêts épaisses où le soleil peut à peine pénétrer, où les eaux répandues occupent de grands espaces, où les fleuves, très voisins les uns des autres, ne sont ni contenus ni dirigés, où il pleut continuellement pendant huit mois de l’année, l’on a commencé seulement depuis un siècle à défricher autour de Cayenne un très petit canton de ces vastes forêts ; et déjà la différence de température dans cette petite étendue de terrain défriché est si sensible qu’on y éprouve trop de chaleur, même pendant la nuit ; tandis que dans toutes les terres couvertes de bois, il fait assez froid la nuit pour qu’on soit forcé d’allumer du feu. Il en est de même de la quantité et de la continuité des pluies ; elles cessent plus tôt et commencent plus tard à Cayenne que dans l’intérieur des terres ; elles sont aussi moins abondantes et moins continues. Il y a quatre mois de sécheresse absolue à Cayenne, au lieu que, dans l’intérieur du pays, la saison sèche ne dure que trois mois, et encore y pleut-il tous les jours par un orage assez violent, qu’on appelle le grain de midi, parce que c’est vers le milieu du jour que cet orage se forme : de plus, il ne tonne presque jamais à Cayenne, tandis que les tonnerres sont violents et très fréquents dans l’intérieur du pays, où les nuages sont noirs, épais et

  1. Il faut ajouter que les êtres vivants reçoivent la chaleur qui leur est nécessaire non de la terre elle-même, mais du soleil.