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voisins que les Indiens du premier peuple savant, les Chinois ne paraissent pas en avoir rien tiré ; ils n’ont pas même ces formules astronomiques dont les Brames ont conservé l’usage, et qui sont néanmoins les premiers et grands monuments du savoir et du bonheur de l’homme. Il ne paraît pas non plus que les Chaldéens, les Perses, les Égyptiens et les Grecs aient rien reçu de ce premier peuple éclairé : car dans ces contrées du Levant, la nouvelle astronomie n’est due qu’à l’opiniâtre assiduité des observateurs chaldéens, et ensuite aux travaux des Grecs[1], qu’on ne doit dater que du temps de la fondation de l’école d’Alexandrie. Néanmoins cette science était encore bien imparfaite après deux mille ans de nouvelle culture et même jusqu’à nos derniers siècles. Il me paraît donc certain que ce premier peuple, qui avait inventé et cultivé si heureusement et si longtemps l’astronomie, n’en a laissé que des débris et quelques résultats qu’on pouvait retenir de mémoire, comme celui de la période de six cents ans que l’historien Josèphe nous a transmise sans la comprendre.

La perte des sciences, cette première plaie faite à l’humanité par la hache de la barbarie, fut sans doute l’effet d’une malheureuse révolution qui aura détruit peut-être en peu d’années l’ouvrage et les travaux de plusieurs siècles : car nous ne pouvons douter que ce premier peuple, aussi puissant d’abord que savant, ne se soit longtemps maintenu dans sa splendeur, puisqu’il a fait de si grands progrès dans les sciences, et par conséquent dans tous les arts qu’exige leur étude. Mais il y a toute apparence que, quand les terres situées au nord de cette heureuse contrée ont été trop refroidies, les hommes qui les habitaient, encore ignorants, farouches et barbares, auront reflué vers cette même contrée riche, abondante et cultivée par les arts ; il est même assez étonnant qu’ils s’en soient emparés et qu’ils y aient détruit non seulement les germes, mais même la mémoire de toute science, en sorte que trente siècles d’ignorance ont peut-être suivi les trente siècles lumière qui les avaient précédés. De tous ces beaux et premiers fruits de l’esprit humain, il n’en est resté que le marc : la métaphysique religieuse, ne pouvant être comprise, n’avait pas besoin d’étude et ne devait ni s’altérer ni se perdre que faute de mémoire, laquelle ne manque jamais dès qu’elle est frappée du merveilleux. Aussi cette métaphysique s’est-elle répandue de ce premier centre des sciences à toutes les parties du monde ; les idoles de Calicut se sont trouvées les mêmes que celles de Séléginskoi. Les pèlerinages vers le grand Lama, établis à plus de deux mille lieues de distance ; l’idée de la métempsycose portée encore plus loin, adoptée comme article de foi par les Indiens, les Éthiopiens, les Atlantes ; ces mêmes idées défigurées, reçues par les Chinois, les Perses, les Grecs, et parvenues jusqu’à nous : tout semble nous démontrer que la première souche et la tige commune des

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.