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elles ne nous sont parvenues que par débris trop informes pour nous servir autrement qu’à reconnaître leur existence passée. L’invention de la formule d’après laquelle les Brames calculent les éclipses suppose autant de science que la construction de nos éphémérides, et cependant ces mêmes Brames n’ont pas la moindre idée de la composition de l’univers ; ils n’en ont que de fausses sur le mouvement, la grandeur et la position des planètes, ils calculent les éclipses sans en connaître la théorie, guidés comme des machines par une gamme fondée sur des formules savantes qu’ils ne comprennent pas, et que probablement leurs ancêtres n’ont point inventées, puisqu’ils n’ont rien perfectionné et qu’ils n’ont pas transmis le moindre rayon de la science à leurs descendants : ces formules ne sont entre leurs mains que des méthodes de pratique, mais elles supposent des connaissances profondes dont ils n’ont pas les éléments, dont ils n’ont pas même conservé les moindres vestiges, et qui par conséquent ne leur ont jamais appartenu. Ces méthodes ne peuvent donc venir que de cet ancien peuple savant qui avait réduit en formules les mouvements des astres, et qui par une longue suite d’observations était parvenu non seulement à la prédiction des éclipses, mais à la connaissance bien plus difficile de la période de six cents ans et de tous les faits astronomiques que cette connaissance exige et suppose nécessairement.

Je crois être fondé à dire que les Brames n’ont pas imaginé ces formules savantes, puisque toutes leurs idées physiques sont contraires à la théorie dont ces formules dépendent, et que s’ils eussent compris cette théorie même dans le temps qu’ils en ont reçu les résultats, ils eussent conservé la science et ne se trouveraient pas réduits aujourd’hui à la plus grande ignorance, et livrés aux préjugés les plus ridicules sur le système du monde : car ils croient que la terre est immobile et appuyée sur la cime d’une montagne d’or ; ils pensent que la lune est éclipsée par des dragons aériens, que les planètes sont plus petites que la lune, etc. Il est donc évident qu’ils n’ont jamais eu les premiers éléments de la théorie astronomique, ni même la moindre connaissance des principes que supposent les méthodes dont ils se servent ; mais je dois renvoyer ici à l’excellent ouvrage que M. Bailly vient de publier sur l’ancienne astronomie, dans lequel il discute à fond tout ce qui est relatif à l’origine et au progrès de cette science ; on verra que ses idées s’accordent avec les miennes, et d’ailleurs il a traité ce sujet important avec une sagacité de génie et une profondeur d’érudition qui méritent les éloges de tous ceux qui s’intéressent au progrès des sciences.

Les Chinois, un peu plus éclairés que les Brames, calculent assez grossièrement les éclipses et les calculent toujours de même depuis deux ou trois mille ans ; puisqu’ils ne perfectionnent rien, ils n’ont jamais rien inventé ; la science n’est donc pas plus née à la Chine qu’aux Indes : quoique aussi