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plus, il paraît avoir tranché toutes les pointes des continents terrestres, et avoir formé les détroits de Magellan à la pointe de l’Amérique, de Ceylan à la pointe de l’Inde, de Forbisher à celle du Groënland, etc.

C’est à la date d’environ dix mille ans, à compter de ce jour, en arrière, que je placerais la séparation de l’Europe et de l’Amérique ; et c’est à peu près dans ce même temps que l’Angleterre a été séparée de la France, l’Irlande de l’Angleterre, la Sicile de l’Italie, la Sardaigne de la Corse, et toutes deux du continent de l’Afrique ; c’est peut-être aussi dans ce même temps que les Antilles, Saint-Domingue et Cuba ont été séparés du continent de l’Amérique : toutes ces divisions particulières sont contemporaines ou de peu postérieures à la grande séparation des deux continents ; la plupart même ne paraissent être que les suites nécessaires de cette grande division, laquelle, ayant ouvert une large route aux eaux de l’Océan, leur aura permis de refluer sur toutes les terres basses, d’en attaquer par leur mouvement les parties les moins solides, de les miner peu à peu et de les trancher enfin, jusqu’à les séparer des continents voisins.

On peut attribuer la division entre l’Europe et l’Amérique à l’affaissement des terres qui formaient autrefois l’Atlantide ; et la séparation entre l’Asie et l’Amérique (si elle existe réellement) supposerait un pareil affaissement dans les mers septentrionales de l’Orient, mais la tradition ne nous a conservé que la mémoire de la submersion de la Taprobane, terre située dans le voisinage de la zone torride, et par conséquent trop éloignée pour avoir influé sur cette séparation des continents vers le nord[1]. L’inspection du globe nous indique à la vérité qu’il y a eu des bouleversements plus grands et plus fréquents dans l’océan Indien que dans aucune autre partie du monde, et que non seulement il s’est fait de grands changements dans ces contrées par l’affaissement des cavernes, les tremblements de terre et l’action des volcans, mais encore par l’effet continuel du mouvement général des mers qui, constamment dirigées d’orient en occident, ont gagné une grande étendue de terrain sur les côtes anciennes de l’Asie, et ont formé les petites mers intérieures de Kamtschatka, de la Corée, de la Chine, etc. Il paraît même qu’elles ont aussi noyé toutes les terres basses qui étaient à l’orient de ce continent : car si l’on tire une ligne depuis l’extrémité septentrionale de l’Asie, en passant par la pointe de Kamtschatka jusqu’à la Nouvelle-Guinée, c’est-à-dire depuis le cercle polaire jusqu’à l’équateur, on verra que les îles Marianes et celles des Callanos, qui se trouvent dans la direction de cette ligne sur une longueur de plus de deux cent cinquante lieues, sont les restes ou plutôt les anciennes côtes de ces vastes terres envahies par la mer : ensuite, si l’on considère les terres depuis celles du Japon à Formose, de Formose aux Philippines, des Philippines à la Nouvelle-Guinée, on sera porté à croire que le

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.