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est nécessaire que cette rupture du Bosphore ait produit tout à coup une grande inondation permanente qui a noyé dès ce premier temps toutes les plus basses terres de la Grèce et des provinces adjacentes ; et cette inondation s’est en même temps étendue sur les terres qui environnaient anciennement le bassin de la Méditerranée, laquelle s’est dès lors élevée de plusieurs pieds et aura couvert pour jamais les basses terres de son voisinage, encore plus du côté de l’Afrique que de celui de l’Europe : car les côtes de la Mauritanie et de la Barbarie sont très basses en comparaison de celles de l’Espagne, de la France et de l’Italie tout le long de cette mer ; ainsi, le continent a perdu en Afrique et en Europe autant de terre qu’il en gagnait pour ainsi dire en Asie par la retraite des eaux entre la mer Noire, la Caspienne et l’Aral.

Ensuite il y a eu un second déluge lorsque la porte du détroit de Gibraltar s’est ouverte : les eaux de l’Océan ont dû produire dans la Méditerranée une seconde augmentation et ont achevé d’inonder les terres qui n’étaient pas submergées. Ce n’est peut-être que dans ce second temps que s’est formé le golfe Adriatique, ainsi que la séparation de la Sicile et des autres îles. Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’après ces deux grands événements que l’équilibre de ces deux mers intérieures a pu s’établir, et qu’elles ont pris leurs dimensions à peu près telles que nous les voyons aujourd’hui.

Au reste, l’époque de la séparation des deux grands continents, et même celle de la rupture de ces barrières de l’Océan et de la mer Noire, paraissent être bien plus anciennes que la date des déluges dont les hommes ont conservé la mémoire ; celui de Deucalion n’est que d’environ quinze cents ans avant l’ère chrétienne, et celui d’Ogygès de dix-huit cents ans ; tous deux n’ont été que des inondations particulières dont la première ravagea la Thessalie, et la seconde les terres de l’Attique ; tous deux n’ont été produits que par une cause particulière et passagère comme leurs effets ; quelques secousses d’un tremblement de terre ont pu soulever les eaux des mers voisines et les faire refluer sur les terres qui auront été inondées pendant un petit temps sans être submergées à demeure. Le déluge de l’Arménie et de l’Égypte, dont la tradition s’est conservée chez les Égyptiens et les Hébreux, quoique plus ancien d’environ cinq siècles que celui d’Ogygès, est encore bien récent en comparaison des événements dont nous venons de parler, puisque l’on ne compte qu’environ quatre mille cent années depuis ce premier déluge, et qu’il est très certain que le temps où les éléphants habitaient les terres du nord était bien antérieur à cette date moderne : car nous sommes assurés par les livres les plus anciens que l’ivoire se tirait des pays méridionaux ; par conséquent nous ne pouvons douter qu’il n’y ait plus de trois mille ans que les éléphants habitent les terres où ils se trouvent aujourd’hui. On doit donc regarder ces trois déluges, quelque mémorables qu’ils soient, comme des inondations passagères qui n’ont point changé la surface