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Pour répondre à cette question d’une manière satisfaisante, il faut réunir sous un même coup d’œil l’Asie, l’Europe et l’Afrique, ne les regarder que comme un seul continent, et se représenter la forme en relief de la surface de tout ce continent avec le cours de ses fleuves : il est certain que ceux qui tombent dans le lac Aral et dans la mer Caspienne, ne fournissent qu’autant d’eau que ces lacs en perdent par l’évaporation ; il est encore certain que la mer Noire reçoit, en proportion de son étendue, beaucoup plus d’eau par les fleuves que n’en reçoit la Méditerranée ; aussi la mer Noire se décharge-t-elle par le Bosphore de ce qu’elle a de trop, tandis qu’au contraire la Méditerranée, qui ne reçoit qu’une petite quantité d’eau par les fleuves, en tire de l’Océan et de la mer Noire. Ainsi, malgré cette communication avec l’Océan, la mer Méditerranée et ces autres mers intérieures ne doivent être regardées que comme des lacs dont l’étendue a varié, et qui ne sont pas aujourd’hui tels qu’ils étaient autrefois : la mer Caspienne devait être beaucoup plus grande et la Méditerranée plus petite, avant l’ouverture des détroits du Bosphore et de Gibraltar ; le lac Aral et la Caspienne ne faisaient qu’un seul grand lac, qui était le réceptacle commun du Volga, du Jaïk, du Sirderoias, de l’Oxus et de toutes les autres eaux qui ne pouvaient arriver à l’Océan : ces fleuves ont amené successivement les limons et les sables qui séparent aujourd’hui la Caspienne et l’Aral ; le volume d’eau a diminué dans ces fleuves à mesure que les montagnes dont ils entraînent les terres ont diminué de hauteur : il est donc très probable que ce grand lac, qui est au centre de l’Asie, était anciennement encore plus grand, et qu’il communiquait avec la mer Noire avant la rupture du Bosphore ; car dans cette supposition, qui me paraît bien fondée[1], la mer Noire, qui reçoit aujourd’hui plus d’eau qu’elle ne pourrait en perdre par l’évaporation, étant alors jointe avec la Caspienne, qui n’en reçoit qu’autant qu’elle en perd, la surface de ces deux mers réunies était assez étendue pour que toutes les eaux amenées par les fleuves fussent enlevées par l’évaporation[NdÉ 1]. D’ailleurs le Don et le Volga sont si voisins l’un de l’autre au nord de ces deux mers qu’on ne peut guère douter qu’elles ne fussent réunies dans le temps où le Bosphore encore fermé ne donnait à leurs eaux aucune issue vers la Méditerranée : ainsi celles de la mer Noire et de ses dépendances étaient alors répandues sur toutes les terres basses qui a voisinent le Don, le Donjec, etc., et celles de la mer Caspienne couvraient les terres voisines du Volga, ce qui formait un lac plus long que large qui réunissait ces deux mers. Si l’on compare l’étendue actuelle du lac Aral, de la mer Caspienne et de la

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.
  1. Il est, en effet, aujourd’hui bien démontré que la mer Caspienne et la mer Noire ont été confondues pendant la période tertiaire ; peut-être même ont-elles été en communication avec la vaste mer qui, pendant une portion de l’époque tertiaire, a recouvert la Russie, la Pologne, une partie de l’Allemagne et de la Norvège.