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maux, ainsi que les végétaux, ont été créés en grand nombre dans tous les climats où la température pouvait leur convenir ; supposition hardie et plus que gratuite, puisqu’il suffit de deux individus ou même d’un seul, c’est-à-dire d’un ou deux moules une fois donnés et doués de la faculté de se reproduire, pour qu’en un certain nombre de siècles, la terre se soit peuplée de tous les êtres organisés dont la reproduction suppose ou non le concours des sexes[NdÉ 1].

En réfléchissant sur la tradition de la submersion de l’Atlantide, il m’a paru que les anciens Égyptiens, qui nous l’ont transmise, avaient des communications de commerce, par le Nil et la Méditerranée, jusqu’en Espagne et en Mauritanie, et que c’est par cette communication qu’ils auront été informés de ce fait qui, quelque grand et quelque mémorable qu’il soit, ne serait pas parvenu à leur connaissance s’ils n’étaient pas sortis de leur pays, fort éloigné du lieu de l’événement : il semblerait donc que la Méditerranée, et même le détroit qui la joint à l’Océan, existaient avant la submersion de l’Atlantide ; néanmoins l’ouverture du détroit pourrait bien être de la même date. Les causes qui ont produit l’affaissement subit de cette vaste terre ont dû s’étendre aux environs ; la même commotion qui l’a détruite a pu faire écrouler la petite portion de montagnes qui fermait autrefois le détroit ; les tremblements de terre qui, même de nos jours, se font encore sentir si violemment aux environs de Lisbonne, nous indiquent assez qu’ils ne sont que les derniers effets d’une ancienne et plus puissante cause, à laquelle on peut attribuer l’affaissement de cette portion de montagnes.

Mais qu’était la Méditerranée avant la rupture de cette barrière du côté de l’Océan et de celle qui fermait le Bosphore à son autre extrémité vers la mer Noire[NdÉ 2] ?

  1. Tout concourt à démontrer que, comme le pensait Buffon, l’Amérique du Nord et l’Asie septentrionale ont été jadis en communication.
  2. On admet aujourd’hui généralement que la mer Méditerranée ne date que d’une époque relativement récente, puisqu’on attribue en partie son affaissement à la période tertiaire. Pendant que le sol s’affaissait pour former la Méditerranée, les Pyrénées et les Alpes se soulevaient. « C’est ainsi, dit Lyell, que les Alpes ont acquis 1 200 mètres et même, sur certains points, plus de 3 000 mètres de leur altitude actuelle, depuis le commencement de la période éocène, et que les Pyrénées ont atteint leur présente hauteur qui, au mont Perdu, dépasse 3 300 mètres, depuis le dépôt de la division nummulitique ou éocène de la série tertiaire. Quelques-unes de ces couches tertiaires se trouvent au pied de la chaîne, à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer ; elles ont conservé une position horizontale, sans avoir participé, en général, aux dérangements qu’a subis la série la plus ancienne. Il résulte de là que la grande barrière qui sépare l’Espagne de la France a été presque entièrement soulevée pendant l’intervalle qui s’est écoulé entre le dépôt de certains groupes de couches tertiaires. D’un autre côté, il n’y aurait rien d’impossible à ce que, pendant le même laps de siècles, quelques chaînes de montagnes eussent été abaissées dans de semblables proportions, et des bas-fonds se fussent trouvés convertis en profonds abîmes, comme cela paraît être arrivé bien positivement dans la Méditerranée. » Si, au début de la période éocène, la Méditerranée existait déjà, elle continua à se creuser pendant la période tertiaire.

    [Note de Wikisource : L’histoire géologique de la Méditerranée est en réalité bien plus complexe. Nous empruntons la description schématique suivante à Boillot, Huchon, Lagabrielle, Introduction à la géologie, 4e édition, 2008 : « La Méditerranée est un ensemble de bassins situés au sein même d’une vaste chaîne de collision continentale qui s’étend de Gibraltar à l’Anatolie et se poursuit jusqu’à l’Himalaya. Cette collision résulte du rapprochement progressif de l’Afrique et de l’Eurasie. Il reste cependant des témoins de l’ancien océan (la Téthys) qui séparait encore au Crétacé les deux continents : il s’agit des deux parties de la Méditerranée situées au sud-est de la Sicile et au sud-ouest de Chypre. […] Il existe donc une différence marquée avec la Méditerranée occidentale, où les bassins océaniques (la mer Tyrrhénienne et le bassin algéro-provençal) sont beaucoup plus jeunes. Il s’agit de bassins formés par extension (celle-ci débute à l’Oligocène, vers 30 millions d’années) au sein même de la vaste zone de convergence Afrique-Eurasie. Pour expliquer cette différence, il faut imaginer que la collision n’était pas omni-présente et qu’il restait encore de vastes espaces océaniques en cours de subduction : c’est à l’arrière de ces zones de subduction, dont l’arc de Calabre est le témoin actuel, que se sont ouverts d’abord le bassin algéro-provençal, puis, plus récemment (5 millions d’années environ) la mer Tyrrhénienne. On a ainsi pu reconstituer la position de la Kabylie et de l’ensemble Corse-Sardaigne avant l’ouverture du bassin algéro-provençal : ils étaient accolés respectivement aux Baléares et à la Provence. La mer Égée, au nord de la Crète, est également en extension depuis 25 millions d’années […] ; il est cependant peu probable qu’elle évolue vers un stade de bassin océanique car l’espace d’océan ancien représentée par la Méditerranée orientale est presque totalement consommé par la subduction. Après avoir subi une extension considérable, la mer Égée sera donc engagée dans la future zone de collision est-méditerranéenne. »]