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trées septentrionales ; et l’on ne peut douter que la séparation des continents vers le nord ne soit d’un temps assez moderne en comparaison de la division de ces mêmes continents vers les parties de l’équateur.

Nous présumons encore que non seulement le Groënland a été joint à la Norvège et à l’Écosse, mais aussi que le Canada pouvait l’être à l’Espagne par les bancs de Terre-Neuve, les Açores et les autres îles et hauts-fonds qui se trouvent dans cet intervalle de mers ; ils semblent nous présenter aujourd’hui les sommets les plus élevés de ces terres affaissées sous les eaux. La submersion en est peut-être encore plus moderne que celle du continent de l’Islande, puisque la tradition paraît s’en être conservée : l’histoire de l’île Atlantide, rapportée par Diodore et Platon, ne peut s’appliquer qu’à une très grande terre qui s’étendait fort au loin à l’occident de l’Espagne ; cette terre Atlantide était très peuplée, gouvernée par des rois puissants qui commandaient à plusieurs milliers de combattants, et cela nous indique assez positivement le voisinage de l’Amérique avec ces terres atlantiques situées entre les deux continents[NdÉ 1]. Nous avouerons néanmoins que la seule chose qui soit ici démontrée par le fait, c’est que les deux continents étaient réunis dans le temps de l’existence des éléphants dans les contrées septentrionales de l’un et de l’autre, et il y a, selon moi, beaucoup plus de probabilités pour cette continuité de l’Amérique avec l’Asie qu’avec l’Europe ; voici les faits et les observations sur lesquelles je fonde cette opinion.

1o Quoiqu’il soit probable que les terres du Groënland tiennent à celles de l’Amérique, l’on n’en est pas assuré, car cette terre du Groënland en est séparée d’abord par le détroit de Davis, qui ne laisse pas d’être fort large, et ensuite par la baie de Baffin, qui l’est encore plus ; et cette baie s’étend jusqu’au 78e degré, en sorte que ce n’est qu’au delà de ce terme que le Groënland et l’Amérique peuvent être contigus.

2o Le Spitzberg paraît être une continuité des terres de la côte orientale du Groënland, et il y a un assez grand intervalle de mer entre cette côte du Groenland et celle de la Laponie ; ainsi, l’on ne peut guère imaginer que les éléphants de Sibérie ou de Russie aient pu passer au Groënland : il en est de même de leur passage par la bande de terre que l’on peut supposer entre la

  1. On admet aujourd’hui assez volontiers qu’il a existé jadis, dans la région encore occupée par l’océan Atlantique, une terre d’une grande étendue, étalée entre l’Amérique et l’Europe, à la hauteur du tropique, mais on s’accorde généralement à penser que cette terre était une île. Les anthropologistes se plaisent à y placer le berceau de l’espèce humaine. L’existence de cette terre coïncidait, sans nul doute, avec un abaissement considérable des terres polaires, de sorte que les terres fermes étaient alors plus étendues entre les tropiques qu’elles ne le sont à notre époque, tandis que les terres polaires étaient au contraire moins étendues qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est à cette prédominance des terres intertropicales sur les terres polaires qu’il faut attribuer la température élevée dont tout notre globe jouissait à cette époque. Plus tard, tandis que les terres de l’Atlantique s’affaissaient, les terres du pôle se soulevaient et la température subissait un abaissement correspondant au changement qui s’effectuait dans le rapport des terres tropicales aux terres polaires. [Note de Wikisource : Ces considérations, qui prétendent expliquer la variation des proportions des masses continentales sur le globe, et partant du climat, par la disparition ou l’apparition de terres nouvelles, sont totalement périmées depuis la découverte de la dérive des continents.]