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après avoir gagné jusqu’aux contrées de l’équateur, auront péri dans celles du nord, dont elles ne pouvaient supporter le froid ; 2o ce transport, ou plutôt ces accrues successives de bois, ne sont pas mêmes nécessaires pour rendre raison de l’existence de ces végétaux dans les pays méridionaux ; car en général la même température, c’est-à-dire le même degré de chaleur, produit partout les mêmes plantes sans qu’elles y aient été transportées[NdÉ 1]. La population des terres méridionales par les végétaux est donc encore plus simple que par les animaux.

Il reste celle de l’homme : a-t-elle été contemporaine à celle des animaux ? Des motifs majeurs et des raisons très solides se joignent ici pour prouver qu’elle s’est faite postérieurement à toutes nos époques, et que l’homme est en effet le grand et dernier œuvre de la création[NdÉ 2]. On ne manquera pas de nous dire que l’analogie semble démontrer que l’espèce humaine a suivi la même marche et qu’elle date du même temps que les autres espèces ;

    sont lentement avancées vers les régions dont le climat leur convenait le mieux, tandis qu’elles disparaissaient dans celles dont la température cessait d’être adaptée à leurs besoins. Les plantes se déplacent, comme le dit Buffon, de proche en proche par les semis ; mais elles peuvent aussi subir des migrations brusques, lointaines et rapides. Les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes présentent des détails d’organisation admirablement adaptés à leur dispersion loin des pieds qui les ont produits. Les uns sont pourvus d’ailes ou d’aigrettes lisses qui permettent au vent de les emporter à de très grandes distances ; d’autres sont armés de crochets qui se prennent dans les poils des mammifères ou le duvet des oiseaux, et qui facilitent leur transport en des localités souvent très éloignées de celles où ils se sont développés ; certains fruits ont une pulpe gluante qui les fait adhérer aux plumes des oiseaux ; d’autres ont leurs graines protégées par des noyaux très durs que les oiseaux ne peuvent ni broyer ni digérer et qu’ils rendent avec leurs excréments parfois très loin du lieu où ils ont fait leur repas. Grâce à ces traits spéciaux de leur organisation, les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes sont disséminés sur une surface géographique d’autant plus considérable que les vents ont plus de force ou que les animaux qui servent à leur transport ont eux-mêmes une aire de dispersion plus étendue.

  1. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer dans des notes antérieures, il est à peu près certain que chaque espèce d’animaux ou de végétaux a une patrie unique, et qu’aucune apparu simultanément dans deux ou plusieurs régions distinctes. Quand on trouve une même espèce dans deux contrées, on peut être certain qu’elle a été transportée dans l’une des deux.
  2. De ce que l’homme est de beaucoup le plus parfait de tous les êtres vivants, il ne faudrait pas conclure qu’il soit le dernier né de tous ceux que nous connaissons et qui vivent notre époque. Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que tous les animaux formassent une chaîne unique, à chaînons tous reliés uniquement avec le chaînon précédent et avec le chaînon suivant, et tous plus parfaits que le chaînon antérieur et moins parfaits que le chaînon postérieur. Ce n’est pas ce qui existe. Les animaux ne forment pas une chaîne unique, mais un nombre plus ou moins considérable de chaînes dont chacune se rattache à une autre par son extrémité initiale, tandis que son autre extrémité est libre. Il n’est pas probable, par exemple, que la chaîne des singes se continue avec la chaîne des hommes ; ce qui est plus probable, c’est que ces deux chaînes ont un point de départ commun. Si l’on aime mieux cette comparaison, on peut considérer l’espèce humaine et le groupe des singes comme deux rameaux d’une même branche, rameaux qui se sont développés indépendamment l’un de l’autre, et qui n’ont de commun que leur origine. On voit par là que l’homme peut être le plus parfait de tous les animaux sans être le plus récent. On admet aujourd’hui qu’il date de l’époque tertiaire.