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bable que ces cachalots, que nous voyons de temps en temps arriver des mers septentrionales sur nos côtes, ne se décident pas à faire ces voyages pour jouir d’une température plus douce, mais qu’ils y sont déterminés par les colonnes de harengs, de maquereaux et d’autres petits poissons qu’ils suivent et avalent par milliers[1].

Toutes ces considérations nous font présumer que les régions de notre nord, soit de la mer, soit de la terre, ont non seulement été les premières fécondées, mais que c’est encore dans ces mêmes régions que la nature vivante s’est élevée à ses plus grandes dimensions. Et comment expliquer cette supériorité de force et cette priorité de formation donnée à cette région du nord exclusivement à toutes les autres parties de la terre ? car nous voyons par l’exemple de l’Amérique méridionale, dans les terres de laquelle il ne se trouve que de petits animaux, et dans les mers le seul lamantin, qui est aussi petit en comparaison de la baleine que le tapir l’est en comparaison de l’éléphant ; nous voyons, dis-je, par cet exemple frappant, que la nature n’a jamais produit dans les terres du midi des animaux comparables en grandeur aux animaux du nord ; et nous voyons de même, par un second exemple tiré des monuments, que dans les terres méridionales de notre continent les plus grands animaux sont ceux qui sont venus du nord, et que s’il s’en est produit dans ces terres de notre midi, ce ne sont que des espèces très inférieures aux premières en grandeur et en force. On doit même croire qu’il ne s’en est produit aucune dans les terres méridionales de l’ancien continent, quoiqu’il s’en soit formé dans celles du nouveau, et voici les motifs de cette présomption.

Toute production, toute génération, et même tout accroissement, tout développement, supposent le concours et la réunion d’une grande quantité de molécules organiques vivantes : ces molécules, qui animent tous les corps organisés, sont successivement employées à la nutrition et à la génération de tous les êtres[NdÉ 1]. Si tout à coup la plus grande partie de ces êtres était supprimée on verrait paraître des espèces nouvelles, parce que ces molécules organiques, qui sont indestructibles et toujours actives, se réuniraient pour composer d’autres corps organisés ; mais étant entièrement absorbées par les moules intérieurs des êtres actuellement existants, il ne peut se former d’espèces nouvelles, du moins dans les premières classes de la nature, telles que celles des grands animaux. Or, ces grands animaux sont arrivés du nord sur les terres du midi ; ils s’y sont nourris, reproduits, multipliés, et ont par conséquent absorbé les molécules vivantes ; en sorte qu’ils n’en ont point laissé de superflues qui auraient pu former des espèces nouvelles,

  1. Nous n’ignorons pas qu’en général les cétacés ne se tiennent pas au delà du 78 ou 79e degré, et nous savons qu’ils descendent en hiver à quelques degrés au-dessous ; mais ils ne viennent jamais en nombre dans les mers tempérées ou chaudes.
  1. Voyez le Mémoire de Buffon sur la Génération, et les notes que j’y ai ajoutées.