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sont les hippopotames actuellement existants[NdÉ 1]. Ces grands ossements et ces énormes dents sont des témoins subsistants de la grande force de la nature dans ces premiers âges. Mais pour ne pas perdre de vue notre objet principal, suivons nos éléphants dans leur marche progressive du nord au midi.

Nous ne pouvons douter qu’après avoir occupé les parties septentrionales de la Russie et de la Sibérie jusqu’au 60e degré[1], où l’on a trouvé leurs dépouilles en grande quantité, ils n’aient ensuite gagné les terres moins septentrionales, puisqu’on trouve encore de ces mêmes dépouilles en Moscovie, en Pologne, en Allemagne, en Angleterre, en France, en Italie ; en sorte qu’à mesure que les terres du nord se refroidissaient, ces animaux cherchaient des terres plus chaudes ; et il est clair que tous les climats, depuis le nord jusqu’à l’équateur, ont successivement joui du degré de chaleur convenable à leur nature. Ainsi, quoique de mémoire d’homme l’espèce de l’éléphant ne paraisse avoir occupé que les climats actuellement les plus chauds dans notre continent, c’est-à-dire les terres qui s’étendent à peu près à 20 degrés des deux côtés de l’équateur, et qu’ils y paraissent confinés depuis plusieurs siècles, les monuments de leurs dépouilles trouvées dans toutes les parties tempérées de ce même continent, démontrent qu’ils ont aussi habité pendant autant de siècles les différents climats de ce même continent ; d’abord : du 60e au 50e degré, puis du 50e au 40e, ensuite du 40e au 30e, et du 30e au 20e, enfin, du 20e à l’équateur et au delà à la même distance. On pourrait même présumer qu’en faisant des recherches en Laponie, dans les terres de l’Europe et de l’Asie qui sont au delà du 60e degré, on pourrait y trouver de même des défenses et des ossements d’éléphants, ainsi que des autres animaux du midi, à moins qu’on ne veuille supposer (ce qui n’est pas sans vraisemblance) que la surface de la terre étant réellement encore plus élevée en Sibérie que dans toutes les provinces qui l’avoisinent du côté du nord, ces mêmes terres de la Sibérie ont été les premières abandonnées par les eaux, et par conséquent les premières où les animaux terrestres aient pu s’établir. Quoi qu’il en soit, il est certain que les éléphants ont vécu, produit, multiplié pendant plusieurs siècles dans cette même Sibérie et dans le nord de la Russie ; qu’ensuite ils ont gagné les terres du 50e au 40e degré, et qu’ils y ont subsisté plus longtemps que dans leur terre natale, et encore plus longtemps dans les contrées du 40e au 30e degré, etc., parce que le refroidissement successif du globe a toujours été plus lent, à mesure que les climats se sont trouvés plus voisins de

  1. On a trouvé cette année même, 1776, des défenses et des ossements d’éléphant près de Saint-Pétersbourg, qui, comme l’on sait, est à très peu près sous cette latitude de 60 degrés.
  1. Nous avons déjà dit que l’animal dont parle Buffon est le mastodonte. Il en exagère beaucoup les dimensions, qui cependant étaient gigantesques.